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que la vie de cette pauvre épouse délaissée devait avoir été remplie d’accidens bien douloureux… — Bien tragiques même, reprit la parente du pacha. N’avez-vous pas remarqué combien son humeur est parfois bizarre, combien sa raison est obscurcie ? N’êtes-vous pas étonnée, malgré la réputation bien méritée d’inconstance dont jouit le pacha, de ne voir présentement dans son harem que ses deux premières femmes ? Et savez-vous combien il en a eu ? — Je fis un signe négatif. — Huit, continua-t-elle, et à peu près autant d’enfans, outre ceux que vous voyez ; Eh bien ! tout cela a disparu. Est-ce le choléra, est-ce la peste qui ont exercé de tels ravages dans cette famille ? Mon Dieu, non ! c’est la jalousie.

Une telle ouverture appelait une confidence plus complète. J’étais étrangère, je ne devais passer que peu de jours dans le harem d’Osman-Pacha, et disparaître pour ne plus revenir ; l’histoire de la Circassienne me fut donc racontée dans tous ses détails, et le désir de rendre un service aux chefs de famille musulmans me décide, je l’ai dit, à la résumer ici. Il ne s’agit pas d’un roman, mais d’un tableau fidèle de la vie de harem étudiée dans certaines conséquences, dans ses effets sur certains caractères, dans quelques détails aussi qui peuvent paraître monotones ou odieux, mais qu’il est peut-être utile de mettre en pleine lumière.


I. — L’EDUCATION ET LE MARIAGE D’UNE CIRCASSIENNE.

Zobeïdeh était née en Circassie, de parens qui, ne sachant trop à quelle religion ils appartenaient, trouvèrent bon de se conformer aux mœurs de la nation relativement puissante à laquelle ils devaient protection et richesse. Zobeïdeh promettait de bonne heure de posséder le genre de beauté que recherchent les marchands d’esclaves. Sa mère se dit qu’il ne fallait rien négliger pour développer ces dons de la nature. Elle enseigna à sa fille la danse et la musique, ou du moins ce qui s’appelle danse et musique en Orient. Elle eut grand soin de préserver son teint des atteintes de l’air et du soleil. Elle n’épargna pas les cosmétiques destinés à entretenir l’abondance de la chevelure et la finesse de la peau. Elle ne négligea rien enfin de ce qui constitue le devoir d’une mère tendre et prudente en Circassie.

Quant à l’éducation morale de la petite, qu’on ne croie pas qu’elle fut négligée. — Il faut plaire aux hommes, disent les mères circassiennes ; une femme est heureuse en raison du degré d’amour qu’elle sait inspirer : toute femme qui ne sait pas plaire est une sotte, elle est malheureuse et elle mérite de l’être.’ On ne plaît pas seulement parce que l’on a un joli visage, mieux vaut même manquer de beauté que d’adresse : avec de l’adresse, on peut dissimuler sa