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celui qui en était l’objet, et, lorsqu’elle lui avait avoué les pensées qui la torturaient, Osman lui répondait avec son froid sourire : — Eh ! qui te dit que tu ne me plais pas ? Il faudrait que j’eusse bien mauvais goût !

— Mais, répliquait-elle parfois, exaspérée par son calme, si tu me perdais, si je venais tout à coup à mourir, tu ne verserais pas une larme !

— Qu’en savons-nous ? Je te regretterais infiniment ; mais ces regrets seraient-ils éternels ? C’est ce que je ne puis dire. Je ne suis pas sorcier, ma belle enfant.

— Et Zobeïdeh se mordait les lèvres jusqu’au sang, et elle aurait donné tout au monde pour pouvoir détester Osman, qu’elle aimait tous les jours davantage.

Malgré tant de froideur, Osman annonça un beau matin à Zobeïdeh qu’il allait l’épouser à la condition qu’elle embrasserait formellement la religion musulmane. Une femme peut être admise parmi les fidèles musulmanes sans subir de trop difficiles épreuves, quoique tel ne soit pas toujours le cas : on se contenta cette fois d’une déclaration de la néophyte, et un même jour la vit coreligionnaire et épouse légitime de son bey. La Circassienne était bien heureuse, mais elle ne le fut pas longtemps. Un mois ne s’était pas encore écoulé qu’Osman entra un jour dans le harem tenant par la main une esclave voilée qu’il présenta à Zobeïdeh en lui disant : — Voici une compagne que je t’amène ; elle est du même pays que toi, et j’espère que vous vivrez en bonne harmonie.

La nouvelle venue, plus jeune d’une année que Zobeïdeh, n’avait pas sa beauté régulière, mais son teint était d’une fraîcheur ravissante, et toute sa personne portait une empreinte de douceur et de grâce qui la rendait fort attrayante. Bouleversée et abasourdie par la vue de la jeune fille et par les paroles de son mari, Zobeïdeh ne savait pas encore avec certitude si l’esclave était sa servante ou sa rivale ; mais le premier pas qu’elle fit dans le vestibule du harem rendit le doute impossible. Caisses sur caisses, coffres sur coffres, paniers sur paniers étaient entassés dans un coin de la grande salle, et contenaient les objets de toilette et d’ameublement destinés à la nouvelle favorite ; car pareil trousseau ne pouvait convenir qu’à une maîtresse.

— Me voilà donc mise au rebut ! se dit Zobeïdeh en se tordant les mains. Mariée depuis quelques jours, jeune, éblouissante de beauté éprise comme jamais femme ne l’a été avant moi, me voilà jetée de côté comme un vêtement en lambeaux ! Là où je commandais, il me faudra obéir ; mes servantes se moqueront de moi, et je serai contrainte, d’assister en silence aux témoignages de tendresse que mon mari et sa maîtresse se prodigueront sans songer à moi !