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Heureusement les prévisions de Zobeïdeh ne se réalisèrent point. Maléka, la nouvelle venue, n’essaya pas d’enlever le pouvoir à sa devancière, et rien ni dans ses manières, ni dans son langage, ne trahit ni le mépris, ni le triomphe. Osman semblait l’aimer, cela est vrai ; mais qui aurait pu ne pas l’aimer, si douce et si humble, toujours occupée du bonheur d’autrui, s’oubliant sans cesse pour ne songer qu’à ceux qui l’entouraient ? Zobeïdeh elle-même se sentit vaincue par l’irrésistible attrait de sa compagne, et, ne pouvant la détester, elle finit par l’aimer, car l’indifférence était chose inconnue à son âme passionnée.

L’élévation de Maléka au rang de seconde épouse du bey n’apporta aucun changement dans le harem. Zobeïdeh ne craignait plus pour son autorité depuis qu’elle avait appris à connaître sa compagne, et elle savait par sa propre expérience que le titre d’épouse donné à Maléka n’ajouterait rien à l’amour d’Osman. Il fallait d’autres causes pour jeter le trouble là où la paix semblait rétablie. Ces causes se produisirent bientôt.


II. — LA PREMIERE RIVALE.

Zobeïdeh venait d’avoir un fils, et Maléka ne tarda pas à donner une sœur au fils de Zobeïdeh. Maléka adorait sa petite fille et se sentait parfaitement heureuse en la serrant dans ses bras. Le sentiment qu’éprouvait Zobeïdeh pour son fils était moins vif ; fière d’avoir donné le jour à un garçon, elle contemplait le jeune enfant avec admiration plutôt qu’avec amour. Ce qui paraîtra singulier, c’est que la fille de Maléka semblait lui être plus chère que son petit Osman : cette âme altière avait besoin de s’attacher à une nature faible ; mais le bey, de son côté, accordant à sa fille une visible préférence, la jalousie maternelle vint troubler le cœur de Zobeïdeh. Cette jalousie était pourtant combattue par le charme même qui entourait la fille de Maléka aussi bien que sa mère. La petite d’ailleurs semblait rechercher la société de Zobeïdeh. La force attire les enfans, et la fille de Maléka, subissant ce bizarre prestige, prodiguait à Zobeïdeh des caresses timides et passionnées qu’elle réservait pour elle seule. La douce Maléka ne s’affligeait pas trop de cette préférence, et n’y voyait rien de dangereux.

Les choses en étaient là lorsqu’une des esclaves qui servaient depuis plusieurs années dans le harem, sans que personne prît garde à elle, fut tout à coup appelée dans la chambre du bey, et en sortit, emportant, avec des présens magnifiques, le titre de favorite. Ce fut un coup de foudre pour Zobeïdeh, qui croyait n’avoir plus à redouter de rivale, et qui comprit alors qu’il ne pouvait y avoir pour elle de sécurité nulle part ni avec personne. Maléka au contraire