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Zobeïdeh se fit amener la misérable qui allait devenir sa complice.

Comme on pouvait le prévoir, cette femme commença par opposer aux ouvertures de l’épouse d’Osman d’énergiques refus : non point qu’il y eût place pour un sentiment honnête dans son âme dégradée ; mais un peu de résistance était le moyen de s’assurer un salaire plus élevé. Trop émue pour être habile, Zobeïdeh s’emporta d’abord, et finit par comprendre le but de ces refus obstinés. Elle amena enfin la vieille femme à s’expliquer sur une mystérieuse poudre blanche qui avait pour vertu non de tuer les rivales dangereuses, mais de les défigurer. Ce moyen terme parut satisfaire Zobeïdeh, et la fausse mendiante, après avoir reçu cinquante piastres, se retira en promettant de revenir dans trois jours apporter la précieuse poudre. Si le hasard empêchait Zobeïdeh de se trouver au rendez-vous, il était convenu que la Grecque, son esclave, la remplacerait. Zobeïdeh se vit ainsi forcée d’avouer à celle-ci tous ses odieux projets. La Grecque reçut la communication avec un embarras mal déguisé, et se promit, si quelque complication imprévue survenait, de s’assurer l’impunité en livrant sa maîtresse.

Au jour fixé, la vieille marchande, déguisée en mendiante, se présenta de nouveau au harem. Quelques paroles d’Osman avaient fait comprendre à Zobeïdeh qu’il avait vu avec déplaisir une étrangère reçue par une de ses femmes contrairement aux règles établies. Elle jugea prudent de ne pas aggraver sa faute en la renouvelant, et la Grecque fut chargée de prendre le paquet de poudre destiné à Zobeïdeh. L’esclave s’acquitta de sa commission avec une secrète joie, et ne remit le paquet à sa maîtresse qu’après avoir diminué un peu la dose de la mystérieuse substance, dont elle redoutait les dangereux effets. Zobeïdeh, n’ayant aucun soupçon, poursuivit son dessein.

Il ne s’agissait plus que de mêler la préparation empoisonnée aux cosmétiques qu’employait la favorite. La Circassienne eût été bien embarrassée si la pauvre Ada s’en fût rapportée un peu plus à la nature et à ses seize ans ; mais la jeune favorite mettait au contraire une sorte de vanité à connaître et à employer tous les cosmétiques de l’Orient : aussi sa toilette ressemblait au comptoir d’un débitant de produits chimiques. Zobeïdeh trouva sans peine un moment pour saupoudrer sans être vue les pommades et les fards étalés sur la toilette d’Ada, puis, tranquille et satisfaite, elle attendit l’effet de sa vengeance.

Elle n’attendit pas longtemps. Sa rivale parut un matin le visage couvert d’un voile. Une éruption s’était déclarée. La pauvre Ada fut condamnée à garder le lit et menacée de perdre la vue. Tant que dura la maladie, Osman ne vit pas sa favorite. Il s’informait pourtant avec intérêt de son état, et il eût été jusqu’à lui rendre visite, si