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— Chère Zobeïdeh, il n’y a rien de bien extraordinaire : notre bey n’est ni malade ni malheureux ; ton petit garçon se porte à merveille ; ta pauvre petite fille, quoique bien chétive, va mieux. N’y a-t-il pas là de quoi te rendre heureuse et reconnaissante ?

— Oui, oui, je sais cela ; mais il y a autre chose qui me concerne, et que tu crains de me dire.

— Si je le crains en effet, chère Zobeïdeh, ce n’est pas que la chose soit par elle-même bien terrible, mais parce que je connais ton caractère…

— Parle, te dis-je. Osman s’ennuie ; il songe à acheter une nouvelle esclave ?

Maléka secoua la tête. — Il ne s’ennuie plus, dit-elle à mi-voix.

— Elle est ici ? s’écria Zobeïdeh.

— Par pitié, Zobeïdeh, calme-toi, ou je te quitte à l’instant, et je m’établis en dehors de la porte pour empêcher que qui que ce soit ne te parle.

— Non, non, je suis, je serai calme… Il a donc une nouvelle favorite !…

Elle demeura quelque temps la tête cachée entre ses mains et sans parler ; puis elle découvrit son visage, qui ne laissait plus voir aucune émotion, et elle reprit : — D’où vient-elle ? qui est-elle ?

— Elle ne vient pas de loin, et tu la connais, puisqu’elle est de tes esclaves.

— Mes esclaves ! impossible ! N’ai-je pas vendu toutes celles qui pouvaient attirer un seul de ses regards ? Ne sont-elles pas toutes affreuses ?

— Pas toutes.

— Je me souviens de chacune d’elles ; je les vois en ce moment comme je te vois, Maléka, et il n’en est aucune…

— Shemséh[1] !

— Shemséh ! dis-tu ? Mais tu plaisantes, Maléka. Cette petite fille si noire, au nez aplati, à la bouche immense, maigre, décharnée, repoussante !

— Que te dirai-je ? Elle était telle que tu la décris ; mais elle est dans l’âge des transformations. Sa taille s’est arrondie et élancée, son teint a blanchi et ses mains aussi ; sa bouche est toujours grande, mais ses dents, depuis qu’elle les soigne, sont devenues des perles ; ses yeux ont toujours été fort beaux. Enfin Osman l’a trouvée à son goût ; elle est gaie, vive, et elle le fait rire. Du courage et de la patience, chère Zobeïdeh ; la révolte ne ferait qu’aggraver le mal.

Il fallut du temps à Zobeïdeh pour se résigner, du moins en apparence ;

  1. Littéralement Ombrelle, nom assez commun parmi les esclaves des harems.