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que cela l’ennuierait d’avoir à punir, il feint de tout ignorer, et il tâche de se persuader à lui-même qu’il ignore tout en effet. C’est bien, c’est très bien ; mais, ou je me trompe fort, ou ce péché n’est pas le seul que la Circassienne ait commis, et je ferai si bien que je découvrirai autre chose dont le bey ne pourra pas m’empêcher de parler, puisque j’aurai parlé avant qu’il se doute de ce que j’ai à lui dire. Non, je ne suis pas Ombrelle, la séduisante Ombrelle, dont les charmes ont enchaîné le bey, si je ne parviens à jeter la désolation dans la vie de Zobeïdeh !

Si Ombrelle eût été moins jeune ou plus adroite, elle eût pu obtenir ce grand succès sans lancer aucune accusation contre Zobeïdeh : il lui eût suffi de ménager son influence, et de ne pas oublier les périls de sa position ; mais Ombrelle n’avait que de la malice et des passions. Elle n’eut pas plus tôt constaté le pouvoir de ses charmes, que l’envie d’obtenir de nouvelles victoires s’empara d’elle. Osman-Bey ne lui inspirait ni amour, ni respect. C’était un maître qu’il lui semblait doux de subjuguer, mais de tromper aussi.

Durant sa vie d’esclave, Ombrelle avait pris l’habitude de sortir souvent pour exécuter dans la ville les commissions de ses maîtresses. Devenue grande dame et favorite, elle sut éluder la règle sévère qu’Osman imposait à ses femmes, en employant les armes que la nature lui avait prodiguées, et en faisant valoir la nécessité de prendre l’air, pour éviter les maladies auxquelles l’exposerait une vie trop sédentaire. Une faculté de médecine tout entière eût ordonné la promenade aux femmes du bey Osman sous peine de mort en cas de désobéissance, je doute fort qu’il les eût laissé sortir ; mais Ombrelle n’était aux yeux du bey qu’une enfant dont la franchise babillarde le rassurait contre toute arrière-pensée coupable. Il avait donc consenti à entrouvrir pour elle les portes de l’enceinte où ses autres femmes restaient prisonnières, et la jeune esclave devait ainsi à une faveur inespérée deux grands biens, le pouvoir au dedans, la liberté au dehors.

Les premières sorties d’Ombrelle ne présentèrent aucun incident de nature à inquiéter le bey. Presque toutes les esclaves, presque tous les eunuques attachés au harem la suivaient. Peu à peu cependant elle trouva des prétextes pour laisser dans le palais quelques-unes de ses surveillantes les plus incommodes, et ne garder autour d’elle dans ses sorties que quelques confidentes intimes et des eunuques. Or ceux-ci sont destinés par état à jouer le rôle de dupes. Ils craignent généralement de se faire des ennemies parmi les favorites du maître, et ils s’empressent de fermer les yeux lorsqu’ils devraient les ouvrir, pour qu’on ne puisse au moins les accuser de complicité avec les belles infidèles confiées à leur surveillance. Malheur au maître ou à l’époux qui s’en rapporte à leur vigilance !