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maître commun. Ombrelle n’était guère aimée de ses compagnes, qui l’enviaient de tout leur cœur. Elles avaient en main de quoi la perdre en gagnant une bonne récompense, et malgré tout personne ne prononça un mot qui pût éclairer le bey sur la conduite de sa favorite.

Cependant les amoureux sont de singuliers personnages. L’amour et surtout le caprice n’étant souvent que de la curiosité et le goût du changement, certains amoureux s’ennuient même de leur bonheur, lorsqu’il dure depuis quelque temps sous la même forme. Le jeune Franc se mit en tête un jour de voir au moins une fois la chambre qu’habitait sa maîtresse, le divan sur lequel elle s’asseyait, les murs qui la renfermaient, et Ombrelle de son côté déclara que sa demeure lui deviendrait chère à partir du jour où son amant y serait entré, où elle pourrait y retrouver des souvenirs de lui. L’imprudence était extrême, mais on en commet chaque jour de pareilles dont personne ne parle, parce qu’elles n’ont pas de résultat fâcheux et bruyant. Ombrelle avait accordé toute sa confiance à l’une de ses esclaves qui la méritait par sa fidélité. Lorsque celle-ci entendit parler pour la première fois de la visite projetée, elle pensa s’évanouir de frayeur, et elle mit tout en usage pour détourner sa maîtresse de ce dessein audacieux ; mais ses représentations eurent le succès ordinaire de pareils morceaux d’éloquence. Ombrelle se faisait une fête de recevoir son amant chez elle, de lui montrer qu’elle était réellement une grande dame, qu’elle habitait un palais magnifique et qu’elle y commandait en maîtresse absolue. On convint qu’Oswald se présenterait sous le déguisement d’une femme apportant des broderies d’un genre nouveau à Ombrelle, qui voudrait les examiner, et cela provoquerait de nouvelles visites de la fausse brodeuse, qui reviendrait lui donner des leçons. Le plan n’était en définitive pas mal combiné, et en l’exécutant avec des précautions infinies, en n’abusant pas des occasions pour renouveler trop souvent les entrevues, on pouvait se flatter de l’impunité ; on l’aurait pu du moins si une rivale comme Zobeïdeh ne s’était pas tenue constamment aux aguets pour s’armer du premier faux pas d’Ombrelle et la précipiter dans l’abîme.

Le dé en était donc jeté, et le jour fixé pour la première visite d’Oswald à Ombrelle était venu. Dès le matin, Zobeïdeh remarqua qu’Ombrelle était fort pâle et paraissait agitée. Ombrelle, de son côté, faisait des efforts surhumains pour paraître tranquille et sereine, et elle cherchait à se rapprocher de Maléka autant qu’à s’éloigner de Zobeïdeh. Ce fut vers midi, lorsque les dames étaient rassemblées dans la principale chambre après le second repas pris en commun, qu’une esclave vint annoncer à Ombrelle qu’une ouvrière l’attendait. — J’y vais, répondit Ombrelle d’une voix tremblante. Et elle