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se demandait si ses jambes la soutiendraient et la porteraient à travers la chambre.

Zobeïdeh, qui s’aperçut de son hésitation, lui proposa d’admettre la marchande, dont elle-même verrait les ouvrages avec plaisir. — Je vais voir d’abord s’ils méritent de vous être présentés, dit Ombrelle, et dans ce cas je vous les apporterai. — Puis, prenant son parti, rassemblant toutes ses forces et retenant sa respiration pour arrêter les battemens de son cœur, elle sortit, trouva la prétendue brodeuse, lui fit signe de la suivre, et entra avec elle dans la chambre qui lui était réservée, car, depuis que le projet de recevoir son amant dans le harem s’était emparé de son esprit, elle s’était arrangée de façon à disposer exclusivement d’une des pièces qu’elle avait partagée jusqu’alors avec l’une ou l’autre des femmes de la maison. L’effroi avait gagné Ombrelle. — Laisse-moi tes broderies, et retire-toi sur-le-champ, dit-elle à Oswald. Zobeïdeh veut te voir, et si elle t’aperçoit seulement, nous sommes perdus. Pars vite, et reviens dans trois jours sous prétexte de reprendre ta marchandise. Nous serons plus heureux ce jour-là, et ton prompt départ d’aujourd’hui empêchera tous soupçons ; mais pars, ne demeure pas un instant, Zobeïdeh pourrait venir.

Oswald ne comprenait rien à cette terreur soudaine ; il n’en obéit pas moins, quoique d’assez mauvaise humeur, disposition bien naturelle chez un jeune Franc qui s’était affublé d’un costume ridicule pour se procurer un tête-à-tête amoureux, et qui voyait ce rendez-vous supprimé brusquement par celle-là même qui l’avait accordé. Lorsqu’Ombrelle rentra seule dans la salle où les femmes étaient réunies, elle débita une petite phrase qu’elle croyait de nature à écarter tout soupçon. La brodeuse, disait-elle, n’avait pas pu attendre, mais elle lui avait confié pour trois jours ses broderies, que Zobeïdeh pourrait examiner. Zobeïdeh cependant avait remarqué le trouble d’Ombrelle : un étrange soupçon venait de traverser son esprit. La catastrophe que l’esclave favorite avait cru prévenir en évitant de présenter la fausse brodeuse à sa rivale n’était que retardée.

Trois jours plus tard, Ombrelle recevait dans sa chambre Oswald, charmé de voir son aventure orientale prendre enfin des proportions tout à fait romanesques. Ombrelle par malheur ne partageait pas la sécurité de son amant, elle se montra contrainte et distraite. Au moindre bruit qui se faisait dans le vestibule, au moindre pas de femme ou d’enfant qui s’approchait de la porte, la pauvre fille croyait voir paraître son seigneur et maître au milieu d’un formidable cortège d’eunuques et de bourreaux. Le jeune Européen ne prit pas ces craintes fort au sérieux ; il trouvait son déguisement des mieux imaginés et tout à fait suffisant pour mettre en défaut les gardiens de