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ville natale le nom de John Briggs. Il était cependant devenu célèbre sous le nom plus euphonique d’Elsley Vavasour. Après avoir soutenu assez courageusement un combat pénible contre les difficultés de la vie littéraire, il avait publié un volume de poèmes sous ce titre mélancolique : Les Agonies de l’âme. Pendant tout un hiver, il avait été le lion de la saison. Elsley méritait son succès, car il le devait à son seul talent, et non à la camaraderie littéraire, dont il s’était écarté avec soin. Malgré tous ses défauts, Elsley en effet était foncièrement honnête et n’avait rien d’un intrigant. Le monde lui ouvrit ses portes, et fut charmé de trouver dans le jeune poète un homme gracieux, aimable, habile à rendre en prévenances ingénieuses les complimens qu’il recevait, un homme en un mot instinctivement bien élevé, et ce qu’on pourrait nommer un gentleman de la nature.


« Il y a deux ou trois maisons dans la ville où à certains soirs vous rencontrez la société la plus complexe, où des duchesses et de jeunes poètes, des évêques et des réfugiés républicains, des gentilshommes chasseurs de renards et des avocats lancés dans la politique se trouvent associés pendant une couple d’heures, à leur grand plaisir et à leur grand bénéfice, car chacun d’eux trouve dans son voisin une personne plus agréable qu’il ne le supposait, et personne ne quitte ces salons sans avoir ajouté quelque chose à son expérience et sans avoir été intéressé par un être humain qui méritait cet intérêt. C’est dans une de ces maisons qu’Elsley fut invité au plus fort du succès des Agonies de l’âme. Pour la première fois il se trouva face à face avec des femmes anglaises d’une haute éducation, et n’eut pas de peine à se croire sur la montagne des péris et dans le royaume même des fées. Il avait été flatté déjà, mais jamais avec tant de grâce, de sympathie et d’apparente intelligence, car il y a peu de femmes bien élevées qui ne puissent faire semblant de comprendre, et laisser le malheureux homme de génie qu’elles flattent convaincu de la supériorité de leur esprit et de leur pénétration, tandis qu’elles ne font autre chose que répéter habilement l’opinion du dernier homme avec lequel elles ont causé, peut-être même, — et c’est là le triomphe de leur habileté, — de l’homme avec lequel elles causent actuellement. Timide et gauche, John Briggs était certes bien excusable de ne pas reconnaître ses propres pensées lorsqu’elles lui étaient renvoyées une minute après, sous la forme la plus gracieuse et avec l’intonation la plus délicate, par l’écho de lèvres qui ne s’ouvraient jamais sans laisser tomber des perles et des diamans. »

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« Rendons justice à Elsley : une des raisons pour lesquelles il aimait ses nouvelles connaissances était qu’il se sentait aimé d’elles. Il se conduisait bien envers elles, et par conséquent elles se conduisaient bien envers lui. Comme je l’ai dit, il était dans son genre un très beau garçon ; il lui fut donc aisé, comme il l’est à toutes les personnes physiquement belles, d’acquérir des manières gracieuses. En outre, il s’était largement abreuvé aux