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d’un ennemi qui pourrait l’attaquer pendant qu’il attaquerait lui-même Pavie. Il fut paralysé dans la poursuite du siège qu’il avait commencé. Après y avoir perdu un certain nombre de jours et ne recevant plus de vivres par le Tesin, que de grandes pluies avaient extraordinairement grossi, il fut contraint de déloger sans avoir rien fait. Le troisième projet de Lautrec n’ayant pas eu une meilleure issue que les deux autres, il remonta vers Milan, dont Prospero Colonna avait laissé la garde à Francesco Sforza, et s’établit à Monza, d’où il parut menacer de nouveau la ville que tout d’abord il n’avait pu prendre.

Le prudent et tenace général italien le suivit de près, et alla couvrir Milan, en prenant une forte position à trois milles de distance. Il se posta dans une grande villa appelée la Biccoca, que l’engagement des deux armées destinait à être célèbre, et qui offrait les dispositions les plus favorables pour asseoir un camp et le rendre inaccessible. C’était un jardin spacieux, placé sur une élévation, couvert d’arbres, coupé de ruisseaux, entouré de fossés, et où l’on n’arrivait sans obstacle que par un pont assez étroit. Une armée de vingt mille hommes pouvait s’y retrancher facilement[1]. Prospero Colonna, selon sa prévoyante habitude, ajouta à la force naturelle du lieu par d’habiles travaux d’art. Il en rendit les fossés plus profonds, y dressa des plates-formes garnies de canons, et y plaça ses troupes dans le meilleur ordre. Il attendit, dans cette position, que l’ennemi vînt se briser contre lui en l’attaquant, ou qu’il fût contraint de se disperser pour n’avoir pas osé l’assaillir. Le défaut d’argent ne devait pas permettre de payer les Suisses, et les Suisses ne consentaient pas longtemps à servir sans l’acquittement ponctuel de leur solde.

Il ne se trompait point. Lautrec, hors d’état d’assiéger Milan, que protégeait par son voisinage l’armée de Colonna, sentant l’impossibilité de donner, sous peine de se perdre, l’assaut à une armée ainsi retranchée, voulait gagner du temps. Il espérait, de son côté, que les troupes ennemies, faute d’argent et de vivres, ne pourraient pas rester dans cette position, et qu’il les aborderait avec avantage lorsqu’elles en sortiraient. Mais les Suisses, qui étaient depuis plus de deux mois en campagne, qui ne recevaient pas la paie convenue, que cette vie de marches sans combat, de tentatives sans succès,

  1. « Qui locus tribus passuum millibus Mediolano distat ; ubi domus est villae opportuna, circumque viridaria haud exigua sunt, profundis fossis vallata ; juxta etiam prœdia effosi fontes, indeque deducti rivi ad prata irriganda, intra quos Prosper exercitum communiverat, etc. » Gal. Capella, ibid., f. 1269. — Guicciardini, lib. XIV. — « Estoit la dite Bicoque la maison d’un gentilhomme, circuit de grands fossez, et le circuit si grand, qu’il estoit suffisant pour mettre vingt mille hommes en bataille. » Du Bellay, ibid., p. 877. — Belcarius, Comment., etc., f. 505.