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Au moment même où l’empereur était arrivé vers lui, Henri VIII avait rompu avec le roi de France. L’arbitrage déloyal qu’il s’était arrogé entre les deux compétiteurs lui en fournit le prétexte. Son ambassadeur, sir Thomas Cheyney, se présenta une dernière fois devant François Ier pour lui imposer la trêve désavantageuse[1] que ce prince ne devait pas accepter. Il lui signifia que si le roi son maître ne parvenait point à réconcilier ensemble les deux souverains, il se croirait obligé de se déclarer plutôt contre lui que contre l’empereur. François Ier répondit noblement qu’il espérait que le roi d’Angleterre ne se déclarerait qu’en faveur de la justice. Discutant ensuite les conditions de la trêve, il demanda que l’Italie y fût comprise, et que Charles-Quint retirât ses troupes du duché de Milan. « L’empereur, dit-il, n’y a pas plus de droits que je n’en ai au royaume d’Espagne. D’ailleurs, ajouta-t-il en s’animant, l’empereur ne peut pas être partout le maître, et si le roi d’Angleterre veut me laisser faire, il ne se passera pas deux ans que je ne le rende l’un des plus pauvres princes de la chrétienté[2]. » Bonnivet, dont la faveur s’était encore accrue depuis la prise de Fontarabie, assistait seul à cet entretien, comme seul avec Wolsey il avait été témoin de la première entrevue de François Ier et d’Henri VIII au camp du Drap-d’Or. Sir Thomas Cheyney le conjura de joindre ses instances aux siennes pour décider le roi très chrétien à ne pas refuser la trêve. « J’aimerais mieux, répondit Bonnivet, voir le roi mon maître dans la tombe que de le voir accéder à des conditions déshonorantes. »

La trêve, que ses termes rendaient inacceptable, étant rejetée, sir Thomas Cheyney ne cacha plus les projets de son roi. Il annonça à François Ier que, sur la demande de Charles-Quint partant pour l’Espagne, Henri VIII avait consenti à devenir le protecteur des Pays-Bas. « L’empereur, répondit François Ier avec une hauteur dédaigneuse, ne pouvait prendre un parti plus prudent, puisqu’il est manifeste que le roi d’Angleterre est plus en état de défendre ces pays que lui qui en est le souverain. » Il protesta ensuite qu’il n’avait jamais donné au roi d’Angleterre aucun motif de s’unir à son plus grand ennemi. « Après ce qui vient de se passer, dit-il, je ne veux plus me fier à aucun prince vivant. » Et il ajouta, avec une résignation altière et une fermeté confiante, que, « s’il n’y avait plus d’autre remède, il espérait pouvoir défendre et lui et son royaume[3]. »

  1. Instructions à Thomas Cheyney, mai 1522, dans mss. Brequigny, vol. 89.
  2. Dépêche de Cheyney à Wolsey du 29 mai 1522. Mus. brit. Galba, B. VII, p. 228. — Aussi dans Brequigny, vol. 89.
  3. Ibid. Th. Cheyney ajoutait à la fin de sa dépêche « qu’il étoit dommage de perdre le roi de France, qui sembloit mettre par-dessus tout l’alliance du roi d’Angleterre. »