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et que le cristal ne pouvait manquer de guérir la fièvre, puisque l’idée de cristal renfermait une idée de froid qui était le contraire de l’inflammation des fièvres. Ce n’était pas moins là un grossier empirisme. Vers l’époque de Browne au contraire, elle tendait à se rejeter vers le rationalisme : avec les partisans des purgatifs et des saignées, elle voulait se faire des moyens qui ne fussent déduits que de ses principes et s’en tenir aux traitemens dont la convenance pouvait être expliquée et comme prédite par sa théorie. Elle était un peu comme le digne Ross, qui, sous prétexte « qu’on ne peut fournir aucune raison pour que le fer attire l’aimant, » conclut victorieusement que cela n’est pas, et que le privilège d’attirer appartient seulement à l’aimant comme « à la matrice commune des métaux. » De nos jours enfin, l’homœopathie, les électriseurs et les consultations de somnambules accusent assez haut un retour vers l’expérience, et malheureusement aussi vers les chimères qui en sont inséparables. Si les raisonneurs sont portés à être trop exclusifs, les hommes qui ont une sage disposition à juger d’après les faits sont follement habiles parfois à apercevoir des faits imaginaires pour se persuader que l’expérience atteste précisément ce que leurs idées les entraînaient à supposer.

Entre ces deux écoles, c’est évidemment vers celle de l’expérience ou de l’empirisme que Browne inclinait d’instinct. J’ai cité une des recommandations qu’il faisait à son fils aîné : celle de noter les remèdes particuliers qu’il verrait employer dans chaque pays. Le même fils, alors qu’il pratiquait la médecine à Londres, écrit à son père pour le consulter sur divers électuaires assez compliqués, et ce seul nom d’électuaires est fort éloquent : il évoque le souvenir de ces recueils où les médecins érudits ramassaient toutes les recettes qu’ils avaient rencontrées dans les vieux auteurs. Est-ce à dire que Browne croie les yeux fermés à ces incroyables mélanges ? Ce n’est nullement ma pensée ; mais ici comme partout, il reste volontiers entre le oui et le non. Ce qui le rend si original, c’est précisément le nombre des suppositions qui lui reviennent à l’esprit sans qu’il puisse les secouer, et auxquelles cependant il ne livre pas sa foi. Il a la tête meublée de toutes les visions, de toutes les assertions des anciennes autorités. Il a tellement la grande imagination qui se rappelle à la fois toute chose et qui embrasse sans cesse les immensités de l’inconnu, que nul fait n’est assez incroyable pour l’épouvanter. À moins de preuves, il ne dira jamais : Cela est impossible ; mais à moins de preuves, il ne dit pas : Cela est vrai, et en attendant que les preuves arrivent, l’homme pratique se décide pour la prudence. La règle qu’il suivait sans doute à l’égard de ses malades, la voici telle qu’il nous l’expose à propos de l’or employé comme