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médicament, et rien qu’à lire ces sages paroles on comprend comment il est devenu célèbre dans sa profession : « Que l’or ainsi administré ait des effets incontestables, nous ne nous prononcerons pas impérieusement à cet égard, bien que beaucoup d’autres exemples se joignent à ceux que nous avons rapportés pour nous engager à l’affirmative ; mais puisque le point est douteux et n’a pas encore été décidé d’une façon authentique, ce serait manquer de jugement que de s’en rapporter à des remèdes controversables. Dans les cas qui présentent un danger connu, il convient plutôt de recourir à des médicamens d’une activité également connue et attestée, car, outre le bénéfice qui en revient au malade, on évite ainsi une erreur grossière qui se commet tous les jours quand on emploie simultanément des drogues incertaines et des remèdes plus authentiques, celle d’attribuer la guérison au médicament imaginaire, ou d’en reporter l’honneur là où l’on avait porté à l’avance sa bonne opinion. »

La renommée littéraire de Browne vint encore élargir le cercle de ses relations. Il fut recherché par les célébrités de tout genre, et il se plut à rester en commerce avec elles. Il me semble que le groupe de ses connaissances est aussi un renseignement biographique. On a de lui des lettres adressées à Lilly, l’astrologue, et quoiqu’il n’ait point fait acte de foi à l’égard du grand œuvre, il comptait parmi ses amis et ses correspondans deux alchimistes enthousiastes : le riche sir Thomas Paston, qui était en outre un érudit et un zélé collectionneur, et le docteur Arthur Dee[1], qui, « fréquemment,

  1. Arthur Dee était fils du fameux docteur John Dee qui, en sa qualité d’astrologue, fut chargé de fixer le jour le plus propice pour le couronnement d’Elisabeth, et qui parcourut les capitales et les cours de l’Europe eu compagnie d’Edouard Kelley, l’alchimiste. À en croire les biographes, il fut un des ancêtres de M. Hume, l’évocateur américain, et, sous le nom de skryer, il eut aussi son médium. C’était Kelley qui remplissait près de lui cet office. Dee avoue qu’après avoir perdu ce skryer, il ne trouva personne pour le remplacer : ce qui me ferait croire qu’il était pleinement convaincu, et que, s’il y avait un trompeur, c’était son acolyte. Le docteur possédait aussi un miroir magique où se montraient des formes et des inscriptions révélatrices de l’avenir. « Des esprits, dit-il, lui apparaissaient sous des verres pleins d’eau, d’où sortaient des voix étranges. » Cinquante ans après sa mort, Meric Casaubon publia un de ses nombreux manuscrits : La Relation fidèle de ce qui s’est passé entre John Dee et quelques esprits. Un fait à noter, c’est que Dee, comme la plupart des thaumaturges de son temps, n’était point un esprit vulgaire. Il était bon mathématicien ; il a travaillé à la réforme du calendrier ; il a eu de grandes vues et des idées de génie. Disraeli le père suppose que, pendant ses courses en Europe, il était un agent secret d’Elisabeth. Le même auteur a retracé en grand peintre une scène frappante et solennelle de sa vie, celle où le vieillard, réduit à la misère et assis chez lui entre ses manuscrits et les attestations qu’il a recueillies dans les cours, reçoit majestueusement les commissaires grands seigneurs que la reine, à sa requête, a nommés tout exprès pour s’enquérir de ses titres à la reconnaissance publique.