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serait pas possible de communiquer des senteurs aux végétaux, ou de corriger ceux qui purgent, ou de donner des vertus purgatives à ceux qui n’en ont pas. » Et la suite prouve qu’il l’a essayé, en essayant encore comment les plantes se comportaient dans le vin, le vinaigre, l’eau salée et d’autres liquides, en particulier dans un mélange de deux onces d’eau pour deux ou trois cuillerées d’eau de roses, « où la menthe a pris une odeur plus forte. »

Mais la partie du journal qui nous ouvre le mieux la porte de son laboratoire est celle qui traite de la congélation et de la coagulation. Là, nous sommes en présence de l’investigateur qui imagine et continue résolument une série d’expériences dirigées vers un même but et destinées à s’éclairer l’une l’autre. Il ne faudrait pas supposer pour cela que nous avons affaire à un analyste du XIXe siècle, à un méthodique travailleur qui choisit une question pour la creuser. La tâche du savant de nos jours est bien aride : quoique, dans le cours de ses recherches, il puisse tomber sur une observation inattendue, sur un fait de nature à lui suggérer à la longue une vaste théorie, ou à lui donner l’enivrante vision d’un agent universel, en général il n’est amené à ses recherches que par d’assez pauvres espérances, et il prévoit à peu près ce qu’il a chance de découvrir. Les nombreuses connaissances dont il a hérité limitent étroitement son droit à l’illusion. Au temps de Browne, les choses se passaient bien autrement. On avait fait table rase de toute l’ancienne science, et les curiosités qui trouvaient autrefois leur satisfaction dans les opinions reçues aboyaient maintenant comme des meutes affamées. Suivant un mot de Macaulay, « l’esprit de Bacon, avec son admirable mélange d’audace et de prudence, était partout à l’œuvre. » Mais la prudence était seulement dans les moyens, dans la manière dont on croyait devoir interroger la nature. Quant aux révélations qu’on attendait d’elle, tout de ce côté n’était qu’audace, et audace sans mesure, sans limites, sans pensée de derrière. Le monde des secrets que l’expérience pouvait ouvrir était mystérieux comme un premier rêve d’amour ; c’était une contrée qui n’avait pas soulevé son voile, et dont les brumes renvoyaient à chacun le mirage de tous ses désirs. Il était permis de tout ambitionner, il était possible de s’attendre à tout, et, remarquons-le bien, ces mêmes hommes qu’un besoin nouveau entraînait vers l’observation des réalités étaient des esprits qui avaient grandi sous l’influence de la thaumaturgie, de la nécromancie, de toutes les ivresses mystiques du XVIe siècle. Pendant que la science se prêtait plus que jamais aux transports de l’imagination, jamais l’imagination n’avait été plus puissante et plus surexcitée. « C’était un beau temps, s’écrie I. Disraeli, un temps de prodiges indéfinissables et de merveilles