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Dieu seul sait ce qu’y vit la pauvre enfant ! — Soudain
Elle fit un soupir, et deux larmes muettes
Glissèrent lentement de ses yeux adorés
Sur son voile de gaze aux mille plis serrés.

Elle tourna la tête et sécha sa paupière.
Ghuzelli ne vit rien ; elle n’eût pas compris.
L’enfant pour le moment, ainsi qu’une écolière,
Fouettait l’eau de sa main avec de petits cris.
Ses doigts roses formaient une faible barrière
Que traversait l’eau bleue, et les flots du courant
Venaient tous lui baiser la main en murmurant.

Mais en face un témoin, plus heureux ou plus sage,
Avait tout vu ; ses yeux discrets, quoique attentifs,
Avaient, sans y songer, surpris à leur passage
Le soupir d’Aïna, puis ses longs pleurs furtifs ;
Et Djérid se disait : Quoi ! souffrir à cet âge ?
Et ses yeux contemplaient avec étonnement
Ce que l’on pouvait voir du visage charmant.

Aïna, sans lever la tête ou la paupière,
Sentit ce long regard se poser sur son front.
Elle était, je l’ai dit, d’une innocence entière ;
Elle hésita. Son âme était timide au fond.
Mais la fleur et l’oiseau montent vers la lumière,
Le cœur cherche le cœur, les yeux cherchent les yeux,
Et l’enfant regarda le rameur curieux.

C’était un bel Arnaute à la mâle poitrine,
Dont l’œil bleu promenait un regard souverain.
Brunis par le soleil et la brise marine,
Son front, son cou, ses bras semblaient être d’airain.
Dieu l’avait revêtu d’une forme divine,
Et la Grèce eût jadis sculpté dans le paros
Ses traits de demi-dieu, sa taille de héros.

Leur regard se croisa peut-être une seconde,
Un éclair, et soudain chacun baissa les yeux.
« D’où peut donc lui venir cette douleur profonde ? »
Se répétait tout bas Djérid silencieux.
« Qu’il est beau ! se disait Aïna. Mais au monde
Rien n’est parfait ; tout pèche, hélas ! par un côté.
Sans doute son esprit a payé sa beauté.