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Vont bientôt dans l’air bleu tenter leur premier vol :
Tant l’âme a soulevé ses entraves mortelles !
— Soudain, au pied du mur, le long des quais déserts,
Elle entend une voix s’élever dans les airs.

Mais quelle voix ! C’était la voix douce et sonore,
Ce timbre pénétrant, ce même accent vainqueur
Qu’elle entendit hier au soir sur le Bosphore,
Et dont l’écho sans fin résonnait dans son cœur.
C’était le même son de voix, plus tendre encore,
Avec un chant plus triste et plus désespéré,
Plainte et soupir d’un cœur à jamais déchiré !

C’est Djérid ! Aux accens de cette voix connue,
Aïna d’un seul bond vole au balcon vitré
Qui s’avance en tourelle et domine la rue.
C’est là qu’assise au frais l’odalisque à son gré
Peut voir par le treillis sans crainte d’être vue.
Aïna palpitante y plonge aussitôt l’œil
Et reconnaît Djérid à deux pas près du seuil.

Son regard doux et fier était levé vers elle.
Soit prodige, ou hasard, ou sûr pressentiment,
Il semblait contempler fixement la tourelle
Et voir sous le treillis le visage charmant
Qui posait sur son front un regard si fidèle ;
Et tous les deux ainsi restèrent jusqu’au soir
À s’enivrer le cœur d’un rêve sans espoir.

La nuit vint, — mais la nuit sans sommeil et sans rêve,
Où l’insomnie en feu qui vous brûle le sang
Promène sous vos yeux, sans repos et sans trêve,
D’un désir effréné le spectre éblouissant.
Inquiète, oppressée, Aïna se relève
Et descend au jardin pour baigner dans la nuit
Son front pâle et brûlant qu’un long trouble poursuit.

C’était une nuit sombre et de vapeurs mêlée ;
Des nuages couvraient le front de Phingari ;
À peine un astre ou deux à la voûte étoilée ;
Bulbul chantait au loin sur un rosier fleuri.
La nature dormait dans sa beauté voilée,
Et l’air tiède chargé d’une molle langueur
Enivrait de désirs et les sens et le cœur.