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Ils touchent à la fin au terme du voyage.
On aborde, et parmi les caïques pressés,
Djérid lance sans choc sa poupe sur la plage.
Les deux sœurs sont debout, leurs bras entrelacés.
Ghuzelli dit alors : « Voici pour le passage,
Caïdji. » — Puis sa main dépose sur le banc
Un sequin d’or léger qui résonne en tombant.

À son tour, Aïna lui tendit sa main frêle,
Et lui dit en tremblant : « Prends encore, et merci ! »
Il regarda ; c’était un anneau d’or fidèle
Qu’elle avait détaché de son doigt aminci.
Il releva la tête et s’élança vers elle.
Mais quand il étendit ses deux mains devant lui,
Dans les ombres du soir le doux, rêve avait fui.


II


O lendemain du jour, du premier jour qu’on aime !
O frais enchantement de l’heure du réveil,
Où l’âme ouvre les yeux avant le corps lui-même
Et vous dit à travers les voiles du sommeil :
« Non, ce n’est pas un rêve, ô volupté suprême !
Un autre vit par toi, comme tu vis pour lui,
Et ton cœur enivré bat dans le sein d’autrui ! »

Et l’âme d’un seul trait tout à coup se rappelle
L’extase de la veille et le trouble et l’aveu.
Puis l’ardent souvenir évoque devant elle,
Comme un magicien dans un cercle de feu,
Tous les enchantemens de cette heure si belle.
Ainsi l’ange d’hier passe à celui du jour
Cette coupe enchantée où nous buvons l’amour.

Aïna ressentit cette extase divine
En ouvrant sa paupière aux premiers feux du jour.
Tout son être est changé ; son œil noir s’illumine
D’un humide rayon d’espérance et d’amour.
Le sang monte à sa joue en teinte purpurine,
Comme on voit le soleil dans le fond du ciel bleu
De ses derniers rayons rougir l’Olympe en feu.

Elle se lève et marche ; elle se sent des ailes.
Ses pieds impatiens ne touchent plus île sol.
On dirait un oiseau dont les plumes nouvelles