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sommets des collines. Pleurez, montagnes et rochers, le rossignol ne chante plus…

« Et toi, laurier hellénique, laurier toujours vert, toi qui baignais tes fleurs dans la rosée de la nuit pour lui paraître plus beau et plus superbe, dis-moi pourquoi le rossignol ne chante plus ?…

« Il a senti le printemps qui arrivait de loin, et, impatient de courir à sa rencontre pour l’embrasser le premier et pour revenir avec lui, il s’est peut-être envolé de tes bras…

« Ah ! quand viendra donc le printemps pour que les neiges disparaissent et que les tempêtes se taisent ? Alors arriveront les hirondelles, et tu les interrogeras, mon laurier, sur ton sort. Qui sait ce qu’elles te diront aussi !

« Console-toi, mon laurier, car tu n’es pas le seul qui attend ton ami, qui attend le rossignol. Si tu savais combien d’ossemens et de braves étendus dans la tombe soupirent après ton retour !

« Ils ont entendu son chant au premier jour du combat comme une trompette de guerre, comme le bruit d’un ouragan, et aussitôt sur l’Agrapha les foudres ont retenti, les fusils ont flamboyé, les épées ont brillé.

« Et pendant qu’ils se battaient, ces pauvres morts ressuscites, le rossignol avec ses chants leur échauffait le sang, et quand il pleurait, quand il gazouillait, les lauriers et les myrtes fleurissaient toujours.

« L’écho terrible de ses chants arrive à Missolonghi le jour où on lui fermait les yeux, le jour où son évêque, dans son vêtement de flammes et de fumée, montait brûlé au ciel[1].

« Dieu ! comme les chants du rossignol berçaient doucement par leur harmonie divine ces braves, ces lions, quand ils agonisaient et qu’ils s’étendaient dans le sang sur la terre pour s’endormir profondément !…

« Trente années se sont écoulées comme un seul jour, et toujours il a guetté, il a demandé au vent qui soufflait de l’Olympe quelle nouvelle il lui apportait, et si le croissant brillait encore sur le Pinde ?

« Oh ! quelle joie il a ressentie, le pauvre rossignol ! Il a battu des ailes, il voltige, il rajeunit en apprenant que là-haut, en Thessalie, l’épée de Pierre ouvrait encore les tombeaux[2].

« Il s’est rappelé sa jeunesse, ses premiers chants, et il a commencé à gazouiller de nouveau mystérieusement dans sa solitude. Mon laurier, quel destin cruel ! ses derniers accents se sont transformés en chants funèbres, et avec eux s’est envolé son dernier soupir…

« Maintenant qui viendra appeler aux armes les froids ossemens ? quel ange sonnera la trompette de la résurrection, et quel oiseau viendra désormais plein de joie apporter aux morts des espérances et des consolations ?

« Que les tombeaux se ferment et que l’herbe croisse sur eux. Que les morts s’étendent sur leur lit et qu’ils reposent. Dieu sait combien de prin-

  1. Il y a ici un petit anachronisme volontaire : la mort héroïque de l’évêque Joseph n’a eu lieu qu’au second siège de Missolonghi, quand Ibrahim-Pacha s’empara de la ville. Or l’Hymne à la Liberté a paru, si je ne me trompe, après le premier siège Missolonghi vit alors fuir les Turcs. Ce fut dans cette retraite que l’intrépide Markos Botzaris, semblable à Epaminondas, tomba victorieux sous le fer des musulmans.
  2. Le poète fait allusion à la dernière insurrection de la Thessalie.