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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

temps, combien d’années s’écouleront avant qu’ils voient un rossignol et qu’ils entendent sa voix bénie leur chanter la chanson du premier mai[1] ! »


J’ai dit que M. Valaoritis était un successeur de Solomos ; le mot n’est pas tout à fait exact. Sans doute M. Valaoritis est inspiré, comme Solomos, par une muse patriotique, mais il met au service de la cause hellénique une intelligence plus cultivée que celle du poète de Zante. La Lettre à Émile qui sert d’avant-propos aux Μνημόσυνα (Mnêmosuna), les notices assez étendues qui précèdent quelques-uns de ses poèmes prouvent que, s’il n’a pas employé le grec d’Athènes, ce n’est nullement par impuissance. M. Valaoritis explique dans sa Lettre à Émile les raisons qui lui ont fait préférer au grec littéraire un dialecte populaire. Ce n’est point en se servant de la langue des lettrés que la nation hellénique a exhalé ses plaintes depuis Mahomet II jusqu’à Rhigas le Libérateur. Les chants des klephtes de l’Olympe et du Pinde, les prières des opprimés et des martyrs ont consacré l’idiome du peuple. S’il est rude, il n’est pas indigent. Œuvre spontanée des Hellènes, il n’est pas dénaturé par des imitations étrangères, trop souvent maladroites.

Si telle est la théorie de M. Valaoritis, ne s’expose-t-il pas aux reproches qu’on a justement adressés à son illustre prédécesseur ? Assurément non. M. Valaoritis emploie, non pas comme le poète de Zante une langue sans caractère, mais le dialecte de l’Épire, que les Ioniens sont assez portés à considérer comme l’idiome naturel de la Grèce guerrière, une sorte de dialecte dorien[2]. Si toutefois

  1. En Grèce comme en Roumanie, le premier jour de mai les jeunes gens et les filles sortent dans les champs pour faire des bouquets et des couronnes de fleurs en chantant la Πρωτομαγιά (Prôtomagia), dont voici les premières stances :
    « Il est arrivé le mois de mai, voici le printemps, voici l’été. Maintenant l’étranger désire retourner dans sa patrie.
    « Il orne de fers d’or les sabots de son cheval ; il le pare de boucles d’argent, et il le couvre d’ornemens de perles. »
  2. Sans doute les Athéniens, ces antiques représentans de la forme ionienne, ne sauraient être complètement favorables à la tentative de M. Valaoritis. Cependant le journal l’Ἐλπὶς (Elpis) (l’Espérance) n’adresse sur ce point au jeune poète que des observations modérées, et vante l’originalité, la vigueur de ses pensées. Le Moniteur grec n’a guère été moins bienveillant. L’Ἥλιος (Hêlios) (le Soleil), publié par un écrivain distingué, M. Panaïotti Soutzo, tout en faisant quelques restrictions sur le dialecte des Μνημόσυνα (Mnêmosuna), rend pleine justice au talent de M. Valaoritis, et félicite la Grèce de compter un poète de plus parmi ses enfans. L’Ἀθηναιόν (l’Athœneum) va même plus loin ; il loue sans hésitation M. Valaoritis de s’être servi du dialecte épirote pour chanter les héros de l’Épire et leurs combats. « La poésie, ajoute la Πάνδωρα (la Pandore) du 13 septembre 1857, finit par être considérée de nos jours comme un art complètement mécanique. Si le sentiment avait permis à Valaoritis de se préoccuper des questions de langue si débattues parmi nous, il aurait anéanti les trésors naturels de son imagination et de sa sensibilité. Il reste heureusement étranger à de pareilles questions. Il a raconté, il a chanté, il a pleuré avec simplicité et sans prétention, et c’est ainsi que se révèle le véritable poète. » En dehors d’Athènes, M. Valaoritis a trouvé un appréciateur très compétent dans M. Tommaseo, qui lui a consacré trois longs articles dans il Diritto de Turin.