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À tout prendre, Don Desiderio est un ouvrage qu’on écoute sans fatigue et qui fait honneur à M. de Poniatowski, dont la position au sénat conservateur n’en sera point affaiblie. Heureux les sénateurs à qui la politique laisse assez de gaieté dans l’esprit pour écrire des opéras bouffés !

Apres le Médecin malgré lui de M. Gounod, qui a eu la fortune que je lui avais prédite, le Théâtre-Lyrique, qui cherche toujours un succès, vient de reprendre la Perle du Brésil, opéra en trois actes de M. Félicien David. Je ne connais pas d’histoire plus lamentable et qui soit d’un plus haut enseignement que celle de M. Félicien David, musicien charmant ; qui, après une vie obscure et douloureuse, passe tout à coup à une éclatante renommée. L’œuvre exquise, le Désert, qui valut à M. Félicien David une illustration si spontanée, et, disons-le hardiment, si disproportionnée avec son objet, est restée une date peu glorieuse pour cette critique d’aventure qui n’a d’autres principes d’admiration que la curiosité de l’oreille. À propos de ce trémolo suraigu des violons, qui a la prétention de peindre le lever de l’aurore, on a proclamé que le Désert était un grand événement dans l’art ! M. Félicien David eut le malheur d’être comparé à Mozart, à Haydn, par des juges accrédités. S’il n’a pas été tué sous le coup de ce pavé, peu s’en faut, car M. Félicien David ne s’est jamais complètement guéri de la blessure qu’il en a reçue. Engoué outre mesure de la niaiserie qu’on appelle la musique pittoresque, M. Félicien David a recommencé le Désert sous un nouveau titre, Christophe Colomb, qui n’a pas eté accueilli de même par le public, et qui nous a valu des ébauches d’écolier comme le Selam ! Enfin, après avoir essayé de chanter tour à tour la création du monde, Dieu et les saints, après avoir composé de la musique de chambre et d’agréables symphonies aux pâles couleurs, M. Félicien David s’est décidé à aborder le théâtre. La Perle du Brésil est le premier et l’unique fruit de cette détermination. La première représentation a eu lieu au Théâtre-Lyrique, avec un succès tempéré par le coup d’état, le 22 novembre 1851. La fable de la Perle du Brésil n’a évidemment d’autre prétention que d’offrir au compositeur un cadre à peu près semblable à celui de Christophe Colomb, qui, par la couleur tranchée des situations, reproduisait l’ingénieuse fiction de la caravane traversant le désert. Il s’agit encore de reconduire le musicien vers le pays de la lumière, qui l’avait si bien inspiré une première fois, et de lui faire chanter tour à tour les brises de la mer et la riche nature des tropiques. Voilà pourquoi le premier acte se passe à Lisbonne, le second sur un vaisseau, au milieu de l’Océan, et le troisième au Brésil, d’où vient la belle Zora, qui se trouve être la fille d’un chef de tribu enlevée par les Européens. Le fil conducteur de cette symphonie dramatique est l’amour de Lorenz, un brave officier portugais, pour l’incomparable Zora, amour qui est traversé par l’amiral portugais, dom Salvador. Tout cela n’est pas plus invraisemblable ni plus usé que ce qu’on fait chaque jour sur les plus grands théâtres du monde, témoin la Magicienne, dont nous aurons à nous occuper.

La musique de la Perle du Brésil se distingue-t-elle beaucoup de celle de Christophe Colomb, qui avait de nombreuses analogies avec celle du Désert  ? Nous n’oserions pas l’affirmer tout d’abord. L’ouverture n’a rien qui la fasse remarquer, ce qui a lieu de surprendre de la part d’un compositeur qui manie