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mais, par le temps qui court, où sont donc les génies inventeurs de nouvelles formes qui ne tombent pas, comme l’auteur du Tannhäuser, dont la partition est là sous mes yeux, dans le fouillis épique et déclamatoire ? Une fois que, pour atteindre je ne sais quelle profondeur mystique, on fait bon marché de la beauté de la forme, on arrive facilement à l’absurde, et par l’absurde à la barbarie. Dieu nous délivre de cette musique de métaphysiciens dont la pauvre Allemagne s’est grisée depuis quelques années ! Je préfère les catégories impératives de la « raison pure » de Kant à l’ouverture de l’opéra du Tannhäuser, que j’ai entendue trois fois aux concerts de Paris. Si Mlle de Saint-Urbain, qui était chargée du rôle important de lady Henriette dans l’opéra de M. de Flotow, avait un talent égal à ses prétentions, si elle chantait juste et ne manquait pas de distinction, l’ouvrage eût été mieux apprécié ; car enfin quelles sont les objections que j’ai entendu faire contre cet opéra, où Mme Nantier-Didiée, MM. Mario et Graziani étaient fort bien dans leur rôle ? Que c’est de la petite musique allemande, et qu’au Théâtre-Italien on veut des œuvres et des interprètes qui viennent du beau pays où fleurissent les citronniers. À la bonne heure, mais alors il faut renvoyer la moitié de la troupe actuelle, où il y a plus de Bas-Bretons et de Normands que d’Italiens. J’admire vraiment ce bon public du théâtre Ventadour, qui, sur la foi des traités, croit applaudir des Italiens parce qu’il entend prononcer les mots de félicita par des organes alpestres, comme on les qualifiait déjà du temps de Charlemagne.

Mais ce qui est vraiment italien et porte des traces visibles du beau soleil qui l’a vu naître, c’est l’opéra bouffe en deux actes qu’on vient de donner tout récemment, Don Desiderio, de M. le prince Joseph Poniatowski. Issu d’une branche de l’illustre famille qui a donné un roi à la Pologne, M. de Poniatowski est né, je crois bien, en Italie, où il a passé sa belle jeunesse à chanter et à composer des duetti d’amore. Mettant à profit les doux loisirs que lui a faits la politique de l’Europe depuis la chute du premier empire, M. de Poniatowski a contracté les goûts de sa nouvelle patrie et s’est fait dilettante, ne pouvant être un héros comme celui de ses pères qui est mort à la bataille de Leipzig. Doué d’une belle voix de ténor, assure-t-on, musicien éclairé, chantant à merveille et s’accompagnant de même, M. de Poniatowski a réalisé dans sa personne un de ces types de prince mélomane comme on en trouve dans Lélia et autres conceptions romanesques de Mme Sand. M. de Poniatowski a composé plusieurs opéras, parmi lesquels Don Desiderio, représenté à Rome, je ne sais plus en quelle année, avec un de ces succès comme on sait les faire en Italie. Le sujet est emprunté à une comédie de Giraud, et déroule les vicissitudes d’un homme excellent qui porte malheur à tous ceux auxquels il s’intéresse. Il en résulte une succession de scènes comiques que M. Zucchini fait très bien ressortir. La musique est facile, légère, appropriée à la situation, et puisée en grande partie dans le grand fleuve rossinien, car M. de Poniatowski est un homme de trop bonne compagnie pour vouloir se singulariser. Nous avons remarqué au premier acte l’introduction et un joli sextuor ; au second acte, un duo, pour soprano et baryton, plein de verve, une jolie cavatine de ténor que M. Mario chante avec beaucoup de charme, et un chœur pour voix d’hommes qui a de l’entrain.