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Chantez, puissances éternelles !
Une urne revient au saint lieu !
Et sur vos harpes immortelles
Célébrez son retour à Dieu.

Je ne reprocherai pas au poème de M. de Saint-Georges de reproduire un grand nombre de situations déjà connues. Il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil, et les combinaisons dramatiques ne sont pas infinies. C’est l’intérêt qui manque à ce long scénario, qui semble n’avoir été conçu que pour fournir des thèmes au décorateur. Aucun caractère n’y a de relief, et celui de Mélusine moins que tout autre. Blanche est une poupée, René un bellâtre, et le nécromancien Stello une espèce de croquemitaine qui ne fait peur à personne. Il en résulte une succession de scènes froides où les personnages s’agitent et se démènent sans faire partager au public les sentimens guindés qu’ils expriment dans une langue tendue et ampoulée. Je ne connais rien de plus triste que d’entendre exprimer à faux, sur un théâtre, les plus nobles sentimens de l’âme, d’y entendre prononcer par des bouches grimaçantes les mots de Dieu, d’amour, de prière, accompagnés de fredons ridicules et de cris de possédés. Qui donc nous délivrera de cet art du Bas-Empire ?

Toutes les fois que nous avons à nous occuper d’une œuvre nouvelle de M. Halévy, nous éprouvons un certain embarras. Musicien d’un vrai mérite, esprit distingué, caractère fort honorable, M. Halévy occupe dans l’école française un rang élevé que personne ne lui conteste. Il a obtenu de grands succès sur les deux théâtres lyriques qui suffisent au goût de la nation. Deux ou trois de ses partitions sont restées au répertoire et protégeront sans doute son nom dans la postérité. Il n’y a pas un opéra de M. Halévy, quelle qu’ait été sa fortune auprès du public, qui ne renferme des pages remarquables, des morceaux d’un style élevé dont on se souvient encore. Guida et Ginevra, Charles VI, la Reine de Chypre, le Juif errant, et plusieurs opéras-comiques qui ont été représentés avec plus ou moins de succès, n’ont pas affaibli la considération qui s’attache à l’auteur de la Juive, de l’Éclair, du Val d’Andorre, etc., parce que dans chacun de ces ouvrages M. Halévy a donné la mesure d’un talent supérieur qui manque, il est vrai, de variété, mais encore plus de prudence. C’est toujours pour nous un grand étonnement de voir un artiste aussi éclairé et aussi réellement modeste que M. Halévy s’embarquer sur la première chaloupe venue pour traverser un fleuve redoutable ! A quoi servent donc l’esprit cultivé, la finesse du goût et beaucoup d’expérience, puisque M. Halévy se trompe si souvent sur le mérite relatif des poèmes auxquels il confie sa destinée ? Meyerbeer, qui est un si grand nécromant, y regarde de plus près, et alors même qu’il accepte un libretto comme celui de l’Étoile du Nord, c’est qu’il y a vu deux ou trois situations propres à évoquer son génie méditatif. S’il existe des compositeurs qui peuvent dire comme Rameau : Je mettrais en musique jusqu’à la Gazette de Hollande, il y en a d’autres, en plus grand nombre, qui n’ont de véritable inspiration que lorsqu’ils sont aidés par les situations et les caractères dramatiques. Tel est M. Halévy, qui a fait un chef-d’œuvre du premier et seul bon poème qu’on lui ait donné, la Juive.