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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/761

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et confident du roi, il croyait déroger en donnant sa fille à un officier prussien, gentilhomme de bonne maison assurément, mais si inférieur à lui par le rang et la fortune. Après des négociations qui durèrent plusieurs mois, le comte d’Ahlefeldt, sans rien promettre encore, exigea pour condition première que M. de Lützow quittât le service du roi de Prusse et vînt s’établir en Danemark ; il essaierait, disait-il, de lui faire obtenir quelque charge importante dans l’administration ou à la cour. La condition était dure pour un homme qui s’était déjà illustré à vingt-six ans dans l’armée prussienne et qui brûlait de recommencer la guerre. Était-ce une ruse du comte ? Croyait-il que le jeune capitaine des corps-francs ne souscrirait jamais à son vœu ? La cour de Prusse était alors à Kœnigsberg ; M. de Lützow se rendit auprès du roi et lui demanda l’autorisation d’entrer au service du roi de Danemark. Élisa et sa mère retournèrent alors à Trannkijör, et, à force de prières, triomphèrent enfin de la résistance du comte. Le 20 mars 1810, Élisa d’Ahlefeldt devint la femme de M. de Lützow.

Peu de temps après le mariage, M. de Lützow emmena sa femme à Berlin pour la présenter à sa famille. Ils y étaient depuis deux années, quand un triste événement les rappela tout à coup à Copenhague. La mère de Mme de Lützow, de plus en plus attristée des désordres de son mari, privée par le mariage de sa fille de la seule consolation qui lui restât, tomba malade et mourut le 30 mars 1812. Ce fut un coup profondément douloureux pour la jeune femme. Cette mère qu’elle venait de perdre avait été la plus tendre amie de sa jeunesse et la confidente de ses intimes pensées. Le seul lien qui la rattachât encore au Danemark était brisé à jamais ; son père, bien qu’elle n’ait jamais manqué envers lui à ses devoirs d’affection et de respect, ne pouvait être pour elle qu’un sujet d’inquiétudes et de réflexions pénibles. Sa fortune même, sa fortune personnelle était compromise de jour en jour par les prodigalités insensées du comte. Cette vie, qui s’était épanouie comme une matinée d’avril au milieu de tant d’enchantemens et de prestiges, se couvrait déjà de nuages sombres. D’autres douleurs venaient se joindre à celles-là ; aux inquiétudes privées s’ajoutaient les calamités publiques. L’année 1813 commençait. L’Allemagne, foulée aux pieds des vainqueurs, se relevait enfin avec toutes les sublimes fureurs du patriotisme. « Que la jeunesse de mon peuple se prépare à la défense de la patrie ! » avait dit Frédéric-Guillaume III, et ces simples mots prononcés par ce roi paternel avaient donné à la Prusse entière une commotion électrique. Quiconque pouvait marcher courut aux armes. M. de Lützow brûlait de reprendre du service ; il fut nommé major et chargé d’organiser les corps-francs.