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On sait quel fut le rôle de ces corps-francs dans la guerre de l’indépendance. Des hommes qui n’avaient jamais tenu que la plume, magistrats, professeurs, étudians, s’y rencontraient avec des hommes qui venaient de quitter la truelle ou la charrue. L’enthousiasme de la patrie animait ces soldats improvisés ; les étudians y ajoutaient l’enthousiasme poétique, et tous ces élémens formèrent une des troupes les plus fortes, les plus noblement originales dont l’histoire militaire ait gardé le souvenir. C’est l’honneur de M. de Lützow d’avoir organisé et commandé ces fières légions. Tous les poètes de 1813 ont chanté ces corps-francs, et tous les ont appelés du nom de leur chef.

Debout ! C’est aujourd’hui, sous le chêne allemand,
La chasse de Lützow au féroce aboiement.

Ainsi parle M. Edgar Quinet dans son poème de Napoléon, quand il peint le soulèvement national de l’Allemagne, et ces beaux vers font allusion aux strophes si poétiquement sauvages de Théodore Koerner, mises en musique par l’auteur de Freysckütz : « Si vous demandez qui sont ces noirs chasseurs, c’est la chasse de Lützow, la chasse sauvage que rien n’effraie. ».

Und wenn ihr die schwarzen jäger fragt,
Das ist Lützow’s wilde verwegene jagd.

C’est à Breslau que s’organisait l’armée prussienne. Lützow y court en toute hâte pour enrôler ses soldats. Mme de Lützow l’accompagnait, et l’affluence était déjà si grande à ce quartier-général qu’ils trouvèrent à grand’peine un logement dans une salle de cabaret. La jeune femme s’associait à toutes les émotions de ces heures enthousiastes. N’avait-on pas vu, quelques années auparavant, la reine de Prusse, dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté, monter à cheval, passer des revues, et communiquer autour d’elle les généreuses passions nationales qui exaltaient son cœur ? La reine Louise était morte au milieu des humiliations de la Prusse (19 juillet 1810), et il est trop certain que ses douleurs patriotiques avaient abrégée ses jours ; si elle eût vécu en 1813, avec quelle joie elle eût présidé, comme les femmes germaines dont parle Tacite, aux préparatifs de la lutte ! Ce qu’eût fait la reine Louise à la tête de l’Allemagne soulevée contre Napoléon, Mme de Lützow le faisait pour les corps-francs de son mari. Plus d’une fois, pendant que M. de Lützow était retenu auprès de ses chefs par les besoins du service, elle inscrivit elle-même ces hardis volontaires qui venaient s’enrôler pour une cause sainte. C’était un curieux épisode au sein de l’exaltation générale : cette salle nue, ces tables, ces bancs, où s’asseyaient jadis