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sans y prétendre, une attraction irrésistible sur toutes les âmes d’élite. Le chantre du patriotisme germanique, Maurice Arndt, retrouvait, en la voyant, ses inspirations de 1813. L’éloquent prédicateur Antoine Moeller, théologien philosophe, avait pour elle l’admiration d’un poète et d’un minnesinger. Mlle Assing a rassemblé d’une main pieuse tous les documens qui attestent le rôle de Mme de Lützow dans la société allemande. Comment retrouver l’attitude de ces muses discrètes et voilées ? Mme de Lützow n’écrivait pas ; sa correspondance se compose de simples billets tracés d’une plume craintive ; elle redoute, on le devine, tout ce qui pourrait lui donner l’apparence d’un bel esprit. C’est dans les lettres de ses amis qu’il faut voir le reflet de sa grâce et de son prestige. Dans toutes ces villes où elle passe, elle laisse pour ainsi dire une trace lumineuse. « O jours dorés ! entretiens familiers et sublimes ! vivante poésie qui nous expliquait la poésie des maîtres ! » Voilà ce que répètent à l’envi tous ces hommes que Mme de Lützow’a visités tour à tour dans la solitude de leurs petites villes. Parmi eux, il y avait un homme, un poète, qui va jouer un rôle important dans sa vie, et qu’il est temps de mettre en scène.


II

Charles Lebrecht Immermann, poète incomplet, écrivain désordonné, mais certainement l’un des plus généreux esprits de l’Allemagne au XIXe siècle, était né à Magdebourg le 24 avril 1796. Son père occupait des fonctions élevées dans l’administration prussienne. Le chef de la famille était un officier suédois, Peler Immermann, qui avait combattu sous le roi Gustave-Adolphe pour la liberté religieuse de l’Allemagne, et qui, la guerre finie, s’était installé dans une métairie abandonnée aux environs de Magdebourg. Ce soldat de la guerre de trente ans devint la souche d’une famille qui produisit beaucoup de braves gens, fermiers, instituteurs populaires, pasteurs de campagne, et fut enfin illustrée par un poète. Charles Immermann fut élevé sévèrement. Esprit méthodique et rigide, son père était un de ces fonctionnaires prussiens que le régime de Frédéric-Guillaume Ier avait accoutumés à une discipline toute militaire, et que le gouvernement de Frédéric II avait enthousiasmés pour la grandeur nationale. Dévouement austère à la règle, dévouement passionné au roi et à la patrie, telle était l’inspiration constante de ces employés prussiens qui étaient devenus au XVIIIe siècle une des forces de l’état. Charles Immermann recueillit ces enseignemens de bonne heure ; si l’on voit toujours, au milieu des plus fougueux élans de son imagination, quelque chose de régulièrement hardi et de méthodiquement