Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/767

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aventureux, c’est sans doute aux premières impressions de son enfance qu’il faut attribuer ce caractère de ses œuvres. Ses biographes remarquent aussi que cette influence rigide de l’esprit paternel ne fut pas corrigée pour lui, comme elle le fut si heureusement pour Schiller et pour Goethe, par l’action d’une mère intelligente et douce. Charles Immermann, qui a écrit de si intéressantes pages sur son enfance, n’y parle jamais de sa mère. On ne sent chez lui aucune trace d’un esprit féminin, d’une tendresse attentive et délicate, et cette absence de la mère dans ce tableau si pieusement tracé de son foyer domestique explique dès l’origine ce qui manquera toujours aux inspirations du poète. Vigueur, audace, rudesse même dans l’effort, voilà ce qui caractérisera les œuvres d’Immermann ; ne lui demandez ni l’harmonie des pensées, ni la grâce du langage.

Immermann avait dix ans à peine lorsqu’une catastrophe terrible vint ébranler cette jeune imagination, nourrie du sentiment et de l’orgueil du patriotisme. La Prusse avait été abattue à Iéna et à Auerstaedt. Chaque jour, les débris de l’armée, des blessés, des fuyards, arrivaient à Magdebourg au milieu d’un effroyable désordre. Le roi, la belle reine Louise, les généraux et les ministres s’étaient retirés vers la frontière orientale. Une partie du pays et bientôt la ville natale du poète étaient entre les mains des vainqueurs. Que devenait sous de telles impressions cette famille déjà si sévèrement réglée ? Une tristesse morne pesait sur elle. C’est pendant ces années de honte et d’angoisses que s’accomplit la première éducation du jeune poète. Il fit ses études dans un gymnase de la ville, puis en 1813, n’ayant pas encore atteint sa dix-septième année, il alla suivre les cours de l’université de Halle. C’était au printemps de 1813. On sait quelle était alors l’ardeur de la jeunesse allemande et quelles émotions contraires l’agitaient. Tantôt, pour oublier l’abaissement de la patrie, on cherchait un refuge dans les rêves de l’imagination, et Louis Tieck, Achim d’Arnim, Clément de Brentano, emportaient les âmes au pays des légendes ; tantôt le sentiment des choses réelles, la honte du joug, l’impatience de le briser, l’espoir et les préparatifs des luttes prochaines faisaient battre les cœurs d’une émotion virile. Nul ne s’associa plus vivement que Charles Immermann à ces enivremens littéraires comme à cette exaltation patriotique. Ces beaux jours d’étude et d’enthousiasme ne pouvaient durer longtemps ; l’heure du combat allait sonner. Immermann était depuis quelques semaines à l’université de Halle, quand un décret de l’empereur Napoléon supprima l’illustre école. Le jeune étudiant, à qui son père avait défendu de quitter la ville de Halle avant le terme de l’année scolaire, crut naturellement