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LA POÉSIE GRECQUE DANS LES ÎLES-IONIENNES.

belliqueux caloyer et la veuve intrépide de Tsavellas : les Souliotes battirent en retraite ; mais à mesure que les Arnautes s’avancent, les chrétiens les écrasent sous d’énormes pierres, et Photos, qui se distingue parmi les plus ardens palikares, met en fuite un corps de trois mille Albanais d’élite qui s’efforçaient de tourner les guerriers de Souli par la montagne de Bagoritza. Le vizir, contraint de fuir encore une fois, reproche à George Botzaris de l’avoir trompé, et lui ordonne de marcher contre ses frères. George n’ose refuser, mais tandis qu’il conduit les soldats du pacha par des sentiers secrets, une troupe de Souliotes descend avec l’impétuosité de l’avalanche et taille en pièces les musulmans. Dans un second engagement. Photos et Dimos-Draos, secondés par un orage épouvantable, écrasent l’armée d’Ali. Désespérant de vaincre, Ali change de système et fait bloquer les défilés des montagnes ; mais l’irascible vizir n’a pas la patience d’attendre les résultats de cette tactique prudente. Il divise ses forces en cinq colonnes et les lance dans les gorges. Les femmes souliotes, organisées en bataillons, combattirent dans ce péril extrême à côté de leurs époux. Ali recula en frémissant de rage.

La lutte arrivée à ce degré devait nécessairement soulever contre les Souliotes les forces de l’empire ottoman. L’honneur de l’islamisme était intéressé à la défaite de cette poignée de palikares qui tenaient en échec depuis tant d’années l’armée du vizir redouté de Janina. La Sublime-Porte, qui avait déjà pris parti pour Ali, obligea par un nouveau firman d’autres pachas et d’autres beys d’envoyer contre Souli les troupes dont ils pourraient disposer. Toujours repoussé, malgré l’intervention du padischah, Ali revint à l’idée d’un blocus qui lui permettrait de recourir à la trahison, son arme favorite. Cependant les Souliotes, réduits à manger les herbes amères de la montagne et l’écorce des arbrisseaux qui croissent dans les fentes des rochers, refusèrent de capituler. Cette obstination magnanime annonçait déjà les miracles de Missolonghi. Les Souliotes crurent pouvoir compter sur la commisération des maîtres des Iles-Ioniennes : ils firent passer par des sentiers inconnus une centaine de vieillards, de femmes et d’enfans qui furent reçus avec sympathie. Le succès de cette expédition les décida à profiter d’une nuit obscure pour diriger vers Parga quatre cents hommes, qui revinrent chargés de provisions. Soixante femmes voulurent prendre part à ce périlleux voyage. Napoléon, alors premier consul, rempli d’admiration pour leur intrépidité, leur expédia aussi des armes et des munitions.

Obligé de Lâcher un moment sa proie pour tenir tête à une ligue dirigée contre son autorité, Ali recommença la lutte avec la ténacité qui le caractérisait. Devenu maître de la dernière position que les