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ses livres, de ses tableaux, de ses gravures, de ses statuettes, au milieu de maints ornemens dont la disposition harmonieuse attestait la main d’une femme, il continuait ses études en artiste passionné, et poursuivait ardemment son idéal. Ce furent de beaux jours pour Immermann et aussi pour Düsseldorf. Cette ville contenait déjà une société d’élite ; autour de l’école de peinture s’étaient groupés peu à peu d’autres hommes voués au culte du beau, c’était toute une colonie d’artistes. Le chef de l’école de peinture était l’excellent Wilhelm de Schadow, qui venait d’y remplacer Cornélius l’année précédente (1826) ; on voyait auprès de lui des peintres comme MM. Lessing, Hildebrandt, Bendemann, Schirmer ; un écrivain passionné pour l’art et la poésie, et qui a été le chroniqueur de cette brillante période, M. Frédéric d’Uechtriz[1] ; un critique et historien de l’art, M. Schnaase ; un compositeur illustre, M. Mendelssohn-Bartholdy. Immermann, par son activité enthousiaste, communiqua une vie nouvelle à ces précieux élémens. Il arrivait, l’imagination en feu, la tête pleine de projets. Son drame d’André Hofer venait d’être terminé pendant les premiers mois de son séjour à Düsseldorf ; en 1828, il compose une tragédie historique, l’Empereur Frédéric II, avec deux comédies, les Travestissemens et l’Espiègle comtesse ; en 1829, une comédie encore, l’École des dévots, un volume de poésies et un recueil de mélanges ; en 1830, un petit poème héroï-comique intitulé Tulifantchen, que Henri Heine appelait l’épopée Colibri. Sa trilogie tragique sur le malheureux fils de Pierre le Grand, Alexis, son poème philosophique de Merlin, son roman des Épigones, étaient déjà ébauchés dans son imagination et à demi rédigés.

Mme de Lützow avait rassemblé autour d’elle les plus intimes amis d’Immermann. C’est dans ce petit cercle que sa verve et sa gaieté naïve, son inspiration de poète et d’artiste, se donnaient librement carrière. Ce n’était plus le débutant timide de Munster ; il appartenait à la littérature militante, et, quoique durement contesté par la critique, il avait le sentiment de sa valeur. Le théâtre surtout l’attirait de plus en plus. Il lisait, comme à Munster, devant un petit nombre d’amis, les œuvres de ses poètes préférés ; mais il les lisait en maître désormais, avec l’expérience d’un homme qui savait lui-même créer des personnages vivans. Ces lectures excitèrent bientôt la curiosité de la foule. Ce n’était pas assez d’en faire jouir les initiés ; pendant deux hivers de suite, il produisit ainsi devant une assemblée nombreuse les principales œuvres de Sophocle et de Shakspeare, de Schiller et de Goethe, deux ou trois drames de Calderon,

  1. Bliche in das Dusseldorfer Kunst-Und Künstlerleben, von Friedrich von Uechtriz ; 2 vol., Düsseldorf 1839-1840.