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plusieurs des pièces de Louis Tieck et de Henri de Kleist. Sa voix était pleine, souple, sonore, et il exprimait avec âme toutes les passions de ses personnages. On lui avait prêté un des plus grands ateliers de l’école de peinture. Élégamment ornée, pour recevoir une foule choisie, cette salle n’avait pas cependant perdu son caractère : des toiles commencées, des dessins épars, de vives ébauches sur les murailles, tout un pêle-mêle pittoresque et poétique formait le cadre le plus convenable à ces représentations familières. C’est au milieu de ces images, c’est en présence d’un public déjà initié à la poésie par la peinture, que ce rapsode de l’art dramatique interprétait avec amour les œuvres les plus différentes, Œdipe roi, Œdipe à Colonne, Hamlet, Roméo et Juliette, le Roi Jean, la Vie est un songe, le Prince Constant, Iphigénie en Tauride, Wallenstein, le Prince de Hombourg et le Chat botté.

Le succès de ces lectures lui inspira le désir de voir ces mêmes œuvres représentées sur la scène. Le théâtre avait grand’peine à s’organiser en Allemagne. On avait vu à Hambourg, en 1767, une troupe de comédiens, sous la direction de Lessing, ou du moins avec sa collaboration et ses conseils, ranimer le goût de la poésie dramatique. Vingt ans plus tard, Schiller remplissait le même office à Manheim, et l’on sait ce que Goethe, pendant un demi-siècle, a fait du théâtre de Weimar. Ce n’étaient là pourtant que de brillans épisodes. Partout où manquait la direction d’un maître, la scène allemande redevenait la proie de la plus vulgaire littérature. Immermann eut l’ambition de former une école, comme Goethe à Weimar et Lessing à Hambourg. Quelques acteurs de Düsseldorf acceptèrent avec empressement ses conseils. Il avait su les associer à son poétique enthousiasme. Presque tous avaient suivi ses lectures et reconnu en lui un maître capable de les conduire. Le généreux poète se fit professeur de diction théâtrale. M. Schadovv lui avait abandonné une salle de l’école de peinture pour les répétitions et les études. C’était une sorte de cellule écartée qui donnait sur le Rhin ; aucun bruit, si ce n’est celui du fleuve, aucun dérangement ne venait troubler les artistes. « Le Rhin murmurait sous nos fenêtres, dit le poète dans ses Mémoires, et le soleil dorait les murailles blanches de la salle. C’est au murmure des flots et sous les rayons du soleil que les syllabes étaient pesées, l’accentuation établie, toutes les nuances de la parole étudiées et perfectionnées. » Quand on joua le brillant drame de Calderon, le Prince Constant, peintres et musiciens voulurent concourir à l’exécution de l’œuvre. On sait que, de toutes les pièces de Calderon, celle-là est la plus chère à nos voisins ; Guillaume Schlegel l’a traduite, commentée, et la critique allemande y voit l’expression la plus complète du génie religieux et