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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 14.djvu/781

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chevaleresque de la vieille Espagne. Un artiste habile, M. Schirmer, peignit la toile du fond, qui représentait la ville de Fez. Un autre peintre, M. Hildebrandt, se chargea de peindre les côtes du Maroc et le débarquement des Espagnols. M. Mendelssohn composa des chœurs et des hymnes. Tous les arts s’étaient donné la main pour honorer le chef-d’œuvre de Calderon, et rien ne manqua au succès.

Ces brillantes soirées encouragèrent Immermann et ses amis. Le poète n’était jusque-là que le conseiller du théâtre, il en devint bientôt le directeur. Il avait donné un plan de campagne et proposé des souscriptions ; en peu de jours, toutes les actions furent prises. Sous l’influence de cette parole enthousiaste, chacun s’empressa de soutenir une entreprise qui s’annonçait si bien. Immermann obtint un congé d’un an, afin de se livrer tout entier à l’organisation du théâtre, et l’on vit un magistrat, avec l’agrément de ses supérieurs et l’appui de l’opinion publique, abandonner quelque temps son grave ministère pour diriger dans les voies de la poésie une troupe de comédiens. Ce curieux épisode de l’histoire littéraire n’était guère possible qu’en Allemagne ; il montre bien le désir qu’elle éprouve et les efforts qu’elle fait de temps à autre pour se donner un théâtre national. Lessing, Louis Boerne, plus récemment M. Robert Prutz, d’autres encore, ont répété avec amertume : « L’Espagne, l’Angleterre, la France, ont un théâtre qui est l’expression de leur génie ; l’Allemagne n’en a pas. » Chaque fois que le pays de Schiller a entrevu l’espoir de créer enfin ce théâtre, il a eu des accès de joie et d’enthousiasme. Un de ces épisodes, et l’un des plus intéressans à coup sûr, c’est la tentative d’Immermann à Düsseldorf. Mme de Lützow n’y était pas étrangère : c’est d’elle que le poète recevait l’inspiration, c’étaient ses applaudissemens qu’il voulait obtenir. Mlle Assing, en racontant cette campagne littéraire, ne craint pas de la comparer aux vaillantes journées de 1813. « Sans Élisa d’Ahlefeldt, dit le biographe, les chasseurs de Lützow ne seraient jamais devenus cette légion enthousiaste dont l’histoire gardera le souvenir ; sans elle non plus, jamais l’école dramatique de Düsseldorf n’aurait pris ce grand essor et renouvelé les beaux jours de Weimar. » Et cette influence, elle l’exerçait sans bruit, sans prétention ; elle était heureuse d’être aimée, heureuse surtout d’inspirer un amour qui se traduisait en de belles œuvres. C’étaient là les jouissances de cette âme platonique.