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Je suis convaincu maintenant que tu m’as pardonné, et que ton amitié m’est acquise… N’es-tu pas toujours prête à soulager ceux qui souffrent ? Tu songes plus au bonheur des autres qu’au tien propre. Puisses-tu en être récompensée selon tes mérites ! »

Toutes les lettres de M. de Lützow sont pleines de ces témoignages de repentir et d’affection exprimés avec l’accent du désespoir. Quand Élisa sollicita du roi de Danemark l’autorisation de s’appeler la comtesse d’Ahlefeldt, M. de Lützow avait paru approuver sa démarche ; deux ans après (cette petite négociation avait subi des. lenteurs), au moment où l’autorisation arrive, il éclate en sanglots. « Je trouve très convenable, écrit-il le 28 mai 1831, que tu aies repris ton nom : cela te rapproche de ta famille, c’est aussi un moyen de ne pas réveiller de douloureux souvenirs et de recommencer une nouvelle vie ; mais l’âme de l’homme est toujours agitée de sentimens contraires, et je n’ai pu retenir des larmes égoïstes quand j’ai appris que tu ne portais plus mon nom. J’ai craint que tu ne fusses encore plus éloignée de moi… O inconséquence des hommes ! nous commençons par agir, et c’est seulement quand l’action est accomplie, irréparablement accomplie, que nous comprenons ce que nous avons fait ! »

Ne pensez-vous pas qu’on finit par s’intéresser à cette souffrance ? On pleure avec M. de Lützow, on voudrait qu’il lui fût possible de réparer sa faute et de relever l’édifice détruit de son bonheur. Non, point d’espoir ; entre Mme d’Ahlefeldt et M. de Lützow, trop d’obstacles se dressent. Sans parler du passé, des liens nouveaux l’enchaînent. Faudra-t-il qu’un second divorce le rende libre ? Il n’oserait lui-même concevoir cette pensée. Supposé même qu’il fût libre, qu’il ne se fût pas remarié, que sa seconde femme fût morte, Mme d’Ahlefeldt pourrait-elle consentir à oublier l’injure d’une répudiation ? Non, certes ; la charité, si dévouée qu’elle soit, ne saurait conseiller le sacrifice de cette dignité qui est la pudeur de l’âme. Tout ce que peut faire Mme d’Ahlefeldt, c’est de renoncer elle-même au bonheur. Elle est aimée, elle refusera d’épouser celui qui l’aime : Immermann savait-il pour quels motifs de délicatesse et de charité mystérieuse Mme d’Ahlefeldt repoussait son amour ? Elle ne lui avait pas dissimulé sans doute ce que nous apprend aujourd’hui la correspondance de M. de Lützow. Quels tourmens elle eût infligés à ce malheureux, si elle eût épousé Immermann ! Elle savait bien que les remords de son mari n’étaient pas des remords virils, mais la plainte d’un enfant qui n’a pas su se conduire ; il fallait compatir à ses souffrances. Ame douce et sérieuse, âme toujours prête au sacrifice, elle s’était dit : Lequel des deux est le plus fort ? Lequel saura le mieux supporter une grande douleur ? Si j’épouse