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l’insalubrité du climat, l’impossibilité de toute colonisation, l’incompatibilité des races et des religions. La Russie ne poursuit point une pensée de conquête : ses projets sont à la fois plus pratiques et plus élevés. Le Times publiait, il y a quelques mois, un article sur l’antagonisme de la Russie et de l’Angleterre en Asie, sur l’inévitable collision qui devait en résulter un jour ; la Gazette de Pétersbourg chercha, au contraire, à établir que les deux peuples poursuivaient en Asie deux tâches semblables, dont le succès n’avait rien qui pût les diviser. « Nous n’hésitons pas, disait le publiciste russe, à reconnaître de grand cœur le droit légitime de l’Angleterre à accomplir sa mission historique dans l’Asie méridionale ; mais en même temps nous soutenons avec fermeté que l’Asie septentrionale a été livrée aux mains de la Russie. Toutefois la tâche que la Russie a devant elle dans le nord de l’Asie est incomparablement plus difficile que celle de l’Angleterre dans le sud. La Sibérie est un géant dont les muscles sont paralysés par l’engourdissement, dont le pouls bat à peine, dont la respiration sort péniblement, mais dont les immenses facultés vitales n’attendent que le moment du réveil. Le temps est venu de nous mettre énergiquement à l’œuvre et de faire naître à la vie toutes ces forces qui y aspirent. Sur toute l’immense frontière de la Sibérie méridionale, depuis l’Oural jusqu’à l’Océan-Pacifique, il nous faut des routes bonnes et sûres qui ouvrent les relations avec le sud de l’Asie. Il faut que le sang chaud et le souffle fécond du sud, il faut que l’échange des produits abondans du nord contre les trésors du midi, l’heureuse activité du commerce et de l’industrie donnent le mouvement à la vie froide et immobile du nord, et y accroissent la population afin que cette partie du monde devienne aussi le siège de la prospérité et de la civilisation. »

S’emparer de tout le commerce de l’Asie centrale, tel est le but que se propose la politique russe. Si la Russie transforme en vassaux ou en alliés tous les chefs de tribu, c’est afin de rétablir la sécurité des communications et de faire reprendre au commerce les routes qu’il suivait dès la plus haute antiquité. Déjà la Mer-Caspienne et le Volga offrent à la Russie une voie rapide et sûre pour introduire en Europe les produits de la Perse : les peuples de la Tartarie et de la Boukharie deviennent tributaires des établissemens qu’elle a formés sur la mer d’Aral ; il faut que les caravanes qui parcourent l’Asie centrale prennent toutes pour point d’arrivée quelqu’un des marchés de la Sibérie, et qu’elles y trouvent en dépôt les produits de l’Europe et de l’Amérique. Des relations régulières pourront ainsi être établies avec les contrées les plus anciennement civilisées du monde : la navigation fluviale en été, le traînage en hiver rendront les transports faciles et peu coûteux, et les richesses