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avec toutes les parties de la Sibérie. Aussi de grandes entreprises de roulage s’y sont-elles organisées. On y fabrique beaucoup d’eau-de-vie de grain. Le nombre de vastes magasins et de belles maisons que renferme Shadrihskoï atteste l’activité et la richesse des habitans. D’autres villes, Bezroukova, Toukalinsk, ne sont pas moins prospères ; mais une place beaucoup plus importante pour la Russie est Petropavlovsky, située à l’extrémité du steppe des Kirghiz, sur la ligne de forts et de piquets de Cosaques qui formait la frontière de la Sibérie méridionale, avant que les Russes eussent étendu cette frontière jusqu’au lac Balkhash. Petropavlovsky est le marché principal où les Kirghiz de la Grande-Horde viennent se pourvoir de marchandises russes, d’articles de fer, d’ustensiles de cuivre et de zinc. Ils y amènent des moutons, des bœufs, des chevaux, et apportent en quantités considérables du suif, des toisons, des cuirs. Petropavlovsky est visité tous les étés par plusieurs caravanes qui viennent de Taschkend, et qui échangent également contre des marchandises russes ou européennes les produits de la Boukharie, de Kashgar et du Thibet. C’est pour protéger la marche de ces « caravanes que la Russie s’est rendue maîtresse des rives du Sir-Darya et des bords de la mer d’Aral.

Ce ne sont pas seulement les villes qui présentent les apparences de la prospérité. Les villages de Sibérie n’offrent point l’aspect misérable des villages russes. M. Atkinson fut frappé du contraste dès le premier relai. Le maître de poste vint le recevoir en uniforme, et se montra d’un empressement extrême. La maison de ce fonctionnaire était d’une admirable propreté. Toutes les boiseries et jusqu’aux poutres du plafond avaient été nettoyées : les bancs disposés autour de la salle, les tables, le plancher, tout était blanc et sans une tache. Les gens du logis étaient vêtus d’habits grossiers et insuffisans, mais propres. En Europe au contraire, il n’était guère de station qui n’offrît l’image de la saleté et de la plus horrible misère. Chaque village de Sibérie est protégé par un fossé et une palissade, qui entourent un vaste terrain, quelquefois de sept à huit verstes de diamètre, avec des portes sur la route et un gardien pour les ouvrir et les fermer. C’est à l’intérieur de cette enceinte qu’on fait paître les bestiaux du village et des troupeaux de cochons, d’oies, de canards et de poules. Il n’est point de ménage qui ne possède plusieurs vaches et plusieurs chevaux. Chaque paysan ensemence en blé autant de terre qu’il lui plaît ; le gibier et le poisson abondent sur sa table, et l’hiver il tend des pièges pour se procurer des fourrures. Ces paysans sont presque tous libres, ou du moins ne relèvent que de la couronne. Il n’y a point en Sibérie de noblesse : le tsar est seul maître du sol, et l’on sait qu’en Russie ce sont les