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serfs des petits propriétaires qui forment la partie la plus misérable de la population.

Une seule chose attriste le regard en Sibérie, c’est la rencontre des convois de forçats qui sillonnent continuellement les routes. Un détachement part tous les lundis matin d’Ekaterinenbourg sous la garde d’un peloton de Cosaques. Les plus coupables ouvrent la marche : ils sont enchaînés et doivent se rendre aux mines de Nertchinsk, à quatre mille verstes de l’Oural ; ils n’arrivent à leur destination qu’au bout de huit mois. Les moins criminels viennent ensuite deux à deux ; leur destination est Irkhoust, et leur voyage ne dure que six mois. Derrière la chaîne suivent des télégas qui portent le bagage, et quelques femmes à cheval qui accompagnent leurs maris en exil. Les forçats ne marchent que deux jours de suite ; ils se reposent le troisième ; ils font de vingt à vingt-cinq verstes par jour de marche. À chaque station, et habituellement hors de l’enceinte du village, est une caserne qui sert à les loger la nuit.

Les distances sont tellement considérables en Sibérie, que l’entretien des routes y est une nécessité de premier ordre : ces routes, encore peu nombreuses, sont généralement bonnes, hormis dans le voisinage des marais, où la pluie les détrempe aisément à cause de la constante humidité du sol. On recourt alors au procédé usité dans l’Oural : on jette des troncs d’arbres en travers du chemin, et les voitures se tirent d’affaire à grand renfort de chevaux. Les télégas du reste sont faits entièrement en bois, sans ressorts, sans même un clou, en sorte qu’avec une planche et des chevilles on peut toujours les réparer. Les stations de relais sont échelonnées à d’assez courtes distances, et sont toujours bien pourvues. Les chevaux sibériens sont petits, mais vigoureux ; ils font régulièrement de trois à quatre lieues à l’heure, et le fouet ne les touche jamais. Nous ne pousserons pas plus loin ces détails sur l’intérieur de la Sibérie et sur ses habitans ; ce sujet a déjà été traité dans cette Revue d’une façon très complète[1] : nous avons hâte d’arriver à l’Altaï, où la Russie a su découvrir de nouveaux élémens de richesse et de puissance[2].

Dès que l’on commence à s’approcher de l’Altaï, on rencontre sur toutes les routes de longues files de chariots qui vont porter du charbon de bois aux usines du gouvernement. Le terrain change de nature et de caractère : il devient de plus en plus sablonneux et s’élève graduellement ; à mesure qu’on a franchi une chaîne de collines, on en découvre devant soi une autre plus élevée. Les rivières

  1. Voyez le travail de M. Saint-René Taillandier dans la Revue des Deux Mondes du 1er août et du 1er septembre 1855.
  2. ) On peut voir aussi l’Altaï et son histoire naturelle, par M. a de Quatrefages, dans la Revue du 15 juillet 1845.