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qu’elle l’avait trouvée le poignard dans le sein, et Zobeïdeh de son côté se sentait soupçonnée par Maléka. Elle ne craignait pas ses révélations, mais elle se sentait blâmée en même temps que devinée, et elle en souffrait cruellement.

Le harem était de nouveau partagé en groupes ennemis : d’une part, Osman et Nafizé au comble du bonheur, n’échangeant que de tendres discours ; de l’autre, les deux femmes délaissées, souffrant de leur abandon, et n’entrevoyant dans l’avenir que des jours de tristesse de deuil peut-être. Les deux partis n’entretenaient ensemble que le moins de rapports possible ; mais, lorsque le hasard ou la nécessité les rapprochait, ils en profitaient pour se harceler réciproquement et à mots couverts. Nafizé n’avait au fond aucun amour pour Osman : elle se savait adorée par lui, et sa vanité s’accommodait de cette adoration, qui lui assurait d’ailleurs l’impunité, quelle que fût sa conduite envers ses rivales.

La grossesse de Nafizé ne fut pas saluée par les deux époux avec autant d’enthousiasme qu’on aurait pu s’y attendre. Nafizé ne croyait pas avoir besoin de ce nouveau lien pour enchaîner Osman, tandis qu’Osman prévoyait avec peine, et je dirais presque avec jalousie, qu’un autre objet occuperait bientôt les pensées et le cœur de son épouse adorée. À mesure d’ailleurs que la grossesse avançait, la santé de la Géorgienne exigeait des soins plus minutieux. Nafizé, qui n’avait jamais été malade, éprouvait de vraies souffrances, et s’en alarmait autant qu’elle s’en courrouçait. Ses esclaves ne savaient plus comment satisfaire les impérieux caprices de leur jeune maîtresse ; rien de ce qu’elles faisaient pour lui plaire n’était bien fait. Les mets les plus délicats étaient repoussés avec dégoût et colère ; les soins les plus irréprochables apportés à sa toilette n’avaient d’autre effet, disait-elle, que de l’enlaidir, et ses femmes s’y appliquaient pour contenter la jalouse envie de leurs vieilles maîtresses. Le harem était devenu un enfer, et ce n’était qu’en présence d’Osman que Nafizé retrouvait un peu de sa bonne humeur, de sa piquante vivacité d’autrefois.

Une circonstance malheureuse vint mettre le comble au mécontentement général. Depuis que Nafizé était grosse, elle s’avouait nerveuse, et se donnait libre carrière pour exiger de tous ceux qui l’entouraient les sacrifices les plus pénibles. La vue des enfans et le bruit de leurs jeux ne trouvèrent pas grâce auprès de la future mère : elle déclara ne pouvoir supporter ni leurs éclats de voix, ni leur agitation, et, après avoir infligé à ces innocens objets de sa capricieuse aversion des châtimens aussi rudes qu’inutiles, elle exigea d’Osman qu’ils fussent éloignés du harem au moins jusqu’après ses couches et son parfait rétablissement.

Zobeïdeh cependant, depuis l’entrée de la Géorgienne sous le toit