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du bey, ne s’occupait que des moyens d’assurer sa vengeance sans dépendre de la douteuse fidélité de ses complices. Lettrée comme elle l’était devenue, lisant couramment non-seulement le turc, mais l’arabe, elle avait réussi à se procurer d’anciens traités de médecine, de chimie et de botanique. Elle ne faisait aucun mystère de ses études, qu’elle expliquait par le besoin de se distraire des chagrins sans cesse renouvelés que lui causait l’humeur volage de son mari. Le terrain inculte qui, sous le titre ambitieux de jardin, entourait la partie de la maison d’Osman réservée aux femmes avait été récemment partagé en carrés soigneusement dessinés, autour desquels s’élevaient de singuliers arbustes et s’épanouissaient des fleurs inconnues, les unes pâles et sombres, les autres panachées de couleurs éclatantes, et exhalant pour la plupart une odeur acre et vertigineuse. Zobeïdeh s’amusait aussi à faire quelques expériences de chimie, et seule dans le harem elle connaissait les noms et les propriétés des substances qu’elle employait. Rien de plus innocent d’ailleurs que ces expériences : changer la couleur d’une étoffe, enlever une tache, hâter le développement ou la floraison d’une plante, conserver à une fleur placée dans un vase la même fraîcheur qu’elle avait sur pied, adoucir l’humeur farouche d’un animal domestique, faire chanter un oiseau silencieux ou rendre muet l’emplumé le plus bavard, faire éclore des œufs sans couveuse, faire apparaître des figures bizarres et étincelantes dans une bouteille remplie d’eau, donner aux objets les plus fragiles la densité et la solidité de la pierre, tels étaient les jeux auxquels se livrait Zobeïdeh, au grand bonheur des enfans. Toutefois ces occupations innocentes ne remplissaient pas seules ses loisirs ; il y avait des jours où la Circassienne se retirait dans une chambre presque entièrement fermée à la lumière. Elle se plaignait de sa santé, repoussait tous les soins, et envoyait quérir tel santon renommé pour ses miracles et ses vertus, auquel Osman avait accordé l’accès du harem dans l’espoir de faire cesser les causes de ce mal inconnu. Enfermée avec le saint homme, Zobeïdeh lui adressait questions sur questions au sujet du bien et du mal, sur Dieu et sur son ennemi, sur la colère divine et sur les moyens de la conjurer, et, docile aux enseignemens de ce conseiller, elle s’infligeait secrètement des peines sévères, martyrisait son corps, et croyait délivrer ainsi son âme des liens de Satan. Puis, au sortir de ces rudes pénitences, elle reprenait ses études et ses expériences avec une nouvelle énergie, satisfaite de s’être punie, et disposée à se châtier de même, si de nouveaux crimes venaient peser sur sa conscience.

À mesure que la grossesse de Nafizé approchait de son terme, ces alternatives d’activité infatigable et d’abattement désespéré se multipliaient chez sa rivale ; sa pâleur presque livide trahissait de