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semaines, hors de chez lui, sous prétexte de visites qu’il rendait à la campagne à ses amis. Lui-même loua une jolie maison sur le Bosphore, où il se rendait souvent, et dont l’entrée était interdite à ses femmes parce que disait-il, elle était trop petite pour les contenir.

Zobeïdeh n’avait plus de rivale à punir, mais son bonheur ni sa tranquillité n’y avaient rien gagné. Elle ne voyait plus Osman qu’à de rares intervalles, et, pendant ces courtes apparitions, il lui témoignait une indifférence bien plus cruelle que ne l’avaient jamais été ses inconstances. Que pouvait-elle contre cette nouvelle ennemie ? Elle eût répandu des torrens de sang, qu’elle n’en eût pas triomphé. Que n’eût-elle pas donné alors pour attribuer cette froideur à une rivale vivante, dont un crime l’eût débarrassée ! L’espoir au moins lui eût été possible, et maintenant il ne l’était plus. Zobeïdeh cependant était née pour la lutte, et la pensée de se soumettre à la nécessité ne s’était jamais offerte à son esprit. Elle ne se préoccupait en aucun cas que des moyens de vaincre, jamais de l’opportunité du combat. Cette fois elle eut recours à des charmes, puis à des philtres dont l’effet devait être de réveiller l’amour d’Osman et de le reporter sur elle-même. Philtres et charmes variés, combinés, multipliés à l’infini, ne produisirent d’autre résultat que de soutenir le courage de Zobeïdeh en flattant ses folles espérances, et de détruire la santé d’abord, puis la raison d’Osman. Il devint sujet à de singulières crises, d’où il ne sortait jamais que marqué de quelque nouveau signe de décrépitude. Des médecins européens furent appelés par Maléka à combattre ces crises d’un mal inconnu ; mais tout leur savoir échoua contre les ténébreuses menées de la femme amoureuse et jalouse. Enfin un changement de climat et d’habitudes fut déclaré nécessaire à la prolongation de cette pauvre existence. Osman partit, avec toute sa famille cette fois, pour la Syrie où il finit par s’établir dans un ravissant petit palais, au milieu du plus charmant paysage à peu de distance de la petite ville qui se trouvait sur ma route. C’est là que je le trouvai, et que je reçus de lui une splendide hospitalité de quelques jours.

Lorsque je vis Osman-Pacha pour la première fois, j’eus peine à m’expliquer son air de décrépitude précoce, qui contrastait, par momens avec des réveils de jeunesse… Avait-il trente ou soixante-dix ans ? On pouvait être embarrassé de résoudre cette question. Le fait est qu’il touchait à sa cinquantième année. L’histoire que me conta l’Européenne me donna le mot de l’énigme. Il se mourait lentement des prétendus philtres amoureux de Zobeïdeh, et la paralysie, l’hébètement s’emparaient peu à peu de lui, accomplissant un travail de désorganisation dont il était aisé de prévoir le terme. Il avait des éclairs d’intelligence pendant lesquels on était frappé de sa bienveillance et de son amabilité naturelles ; mais ce n’étaient que des