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sociale inférieure à celle de la France ou de l’Autriche ; elles ne comptent point peut-être dans la politique, mais elles comptent dans la civilisation. L’Allemagne n’a plus les innombrables états qu’elle avait autrefois, mais combien encore de petits états en Allemagne ! La condition des hommes y est-elle plus malheureuse qu’ailleurs ? Munich aime-t-il moins les arts que Vienne, parce que Munich est plus petit que Vienne ? Y a-t-il moins de libéralisme dans le peuple et dans le gouvernement wurtembergeois que dans le peuple et dans le gouvernement prussien, parce que le Wurtemberg n’a pas l’étendue de la Prusse ? Cessons de mesurer la civilisation en kilomètres carrés. Il y a plus, notre siècle, pendant que presque tous ses publicistes s’éprenaient d’amour pour les grands états, en a créé lui-même de petits : la Belgique, par exemple, à nos portes. Nous avons compris en 1830 que l’Europe ne nous donnerait la Belgique qu’après de longs combats et avec la secrète pensée de nous la reprendre aussitôt qu’elle le pourrait ; nous avons donc mieux aimé donner la Belgique à elle-même. Il y a là une bonne leçon politique à suivre pour l’Orient. En Orient même, notre siècle a créé le petit état de la Grèce, et, quoi qu’on en dise, il n’a pas à s’en repentir, si notre siècle aime mieux les populations qui s’accroissent que les populations qui dépérissent, les champs qui se fertilisent que ceux qui se stérilisent, les marines qui fleurissent pour le commerce et non pour la guerre, — s’il met quelque prix à la vie, à l’honneur et à la sécurité des familles humaines. Dans le monde musulman enfin, notre siècle, en consolidant en Égypte la race de Méhémet-Ali, a presque fait encore un petit état voué au commerce et à l’union de l’extrême Asie et de l’Europe. Nous avons vu même le moment, il y a deux ans, où le congrès de Paris, fidèle à la politique bienfaisante et vraiment philanthropique de notre siècle, allait créer dans les principautés un nouveau petit état. La réaction musulmane a affaibli cet espoir sans le détruire entièrement.

Ainsi, pendant que les publicistes visaient aux grands états, l’Europe en créait de petits, et elle avait raison. Les petits états ont toute sorte d’avantages. Ils sont favorables au développement de l’activité humaine ; ils créent à un plus grand nombre d’hommes ici-bas un sort et un rang conformes à leur mérite ou à leur vanité. Dans les grands états, il semble qu’il faille être tout pour être quelque chose. Grâce aux petits états, il y a plus de cases pour tout le monde, et chacun a plus aisément sa part au soleil. J’ajoute, et c’est là à mes yeux le meilleur titre des petits états : ils ne peuvent vivre qu’avec la paix européenne. La guerre les supprime nécessairement. Leur vie étant ainsi liée au maintien de la paix, ils travaillent à la maintenir. Ils ne peuvent pas la voter dans les congrès, mais ils l’appellent et ils la défendent de tous leurs vœux, et les vœux universels finissent