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main d’un esclave dans la froide étuve de la prison Mamertine[1] valent bien le bûcher de Rouen. Assurément, comme homme de guerre, on ne saurait le mettre sur le même rang que César ; mais il fut souvent bien inspiré par son ardent patriotisme, il possédait de rares facultés d’organisation et de commandement, il se montra toujours persévérant, actif, intrépide. Bien qu’il eût parfois poussé la rigueur jusqu’à des extrémités qui révoltent nos idées modernes et chrétiennes, il eut de ces mouvemens généreux qui ne manquent jamais aux vrais grands hommes. Quand je le vois, malgré sa résolution bien prise, céder aux larmes et aux prières des habitans de Bourges[2], qui le suppliaient d’épargner leur ville, je sens le cœur battre dans sa poitrine. Et quand au dernier jour de sa puissance il se dévoue au salut de ses compagnons, que, paré de sa plus riche armure, monté sur son plus beau cheval, il va s’offrir avec tant de fierté et de bonne grâce à un vainqueur dont il n’avait pas de pitié à attendre, je salue en lui le premier des Français. Je ne suis pas un détracteur de César : si de plus vastes génies peut-être ont étonné le monde, je n’en connais pas de plus complet, de plus séduisant ; quand je lis l’histoire de sa vie, je suis tenté d’oublier qu’il a consacré toutes les ressources de son incomparable nature à l’asservissement de sa patrie ; je me sens sous le charme, et je comprends, comme Montaigne, « que la victoire n’ait pu se séparer de lui, même en cette très injuste guerre civile. » Mais un petit chef de clan de l’Auvergne, qui parvient à réunir en un faisceau national des tribus éparses, hostiles les unes aux autres, et qui tient un moment en échec la fortune de César, n’a-t-il pas droit aussi à notre admiration ? À tenter ce sublime effort pour sauver l’indépendance de son pays, il y avait certes plus de vraie gloire qu’à fonder le gouvernement des empereurs à Rome…


Que pourrions-nous ajouter aux pages qu’on vient de lire ? Nous devions nous borner, en nous les appropriant pour nos lecteurs, à les présenter comme un document de plus dans la question agitée par les érudits, et dont l’Institut de France semble s’être saisi jusqu’à un certain point, soit en couronnant l’un des défenseurs de l’Alise bourguignonne, soit en recevant communication des mémoires écrits dans l’un ou l’autre sens. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres ne décidera pas la question d’Alesia plus que nous ne la tranchons nous-mêmes. Il lui aura suffi, comme à nous, de témoigner l’intérêt sérieux qui s’attache aux efforts tentés pour résoudre un problème historique si digne de l’attention des esprits éclairés.
V. de Mars
  1. « Par Hercule ! que vos étuves sont froides ! » s’écria Jugurtha quand il fut jeté dans cette même prison pour y recevoir aussi la mort. — Plutarque, Vie de Marius, c. 13.
  2. « Et precibus ipsorum et misericordia vulgi. » B. G., vu, 15.