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proque. Les bons rapports sont incompatibles avec les mauvais procédés. Jefferson avait plus que nul autre contribué à introduire l’usage des mauvais procédés dans la vie publique, à altérer le sens moral et à compromettre la dignité des partis. Lorsqu’ils en sont venus à user de moyens comme ceux dont Hamilton allait être la victime, tout sentiment sociable doit nécessairement s’éteindre dans l’arène, et la barbarie l’envahit avec toutes ses brutalités et ses fureurs.

En 1792, alors que les ennemis de Hamilton, à bout d’expédiens contre sa politique, cherchaient à se convaincre qu’ils avaient le droit de mettre sa probité en question, trois des meneurs républicains, MM. Muhlenburg, Venable et Monroë, avaient eu le malheur d’entrer en rapports avec certains aventuriers qui, voulant exploiter la crédulité et la haine de l’opposition, se faisaient fort de lui procurer les moyens de perdre Hamilton. Les trois amis avaient donné dans le piège tête baissée. On leur montre une ou deux lettres du secrétaire du trésor dont le sens leur échappe : ils en concluent qu’elles ont un sens coupable. On leur raconte que Hamilton a souvent assisté de sa bourse et de son crédit Reynolds, le détenteur de ces lettres ; on leur prouve que le secrétaire du trésor a pour Mme Reynolds des soins empressés : ils en infèrent qu’il a quelque secret motif de ménager le mari. On leur affirme que le mari a en effet servi d’intermédiaire à Hamilton pour jouer sur les fonds publics : ils le croient, et ils rédigent aussitôt deux grands mémoires sur les formidables résultats de leur enquête. Forts de ces documens, MM. Muhlenburg, Venable et Monroë se rendent solennellement chez Hamilton, et le menacent de le dénoncer au président s’il ne leur donne des explications satisfaisantes sur cette ténébreuse affaire. À leur grand étonnement, Hamilton ne se trouble point, il reconnaît ses lettres ; il convient qu’afin de cacher une faute, il a dû acheter le silence de Reynolds, mari malheureux qui, pour s’enrichir, avait abusé du droit d’être jaloux, et qui, pour se venger de ne pas s’être enrichi autant qu’il l’espérait, avait monté l’intrigue dont les trois membres du congrès étaient les dupes. Afin de ne laisser aucun doute dans leur esprit, Hamilton entame la lecture d’une longue série de billets doux écrits par Mme Reynolds et de sommations menaçantes envoyées par son mari. Les trois membres du congrès, confus de leur sotte intervention dans une affaire aussi peu politique, refusent d’en entendre davantage. En se retirant, ils s’excusent auprès de Hamilton et se disent pleinement convaincus de son innocence ; mais en rentrant chez eux, ils se bornent à déclarer dans un mémoire secret qu’ils ont « laissé Hamilton sous l’impression que leurs soupçons étaient dissipés. » Ils promettent de veiller à ce que