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lesquelles on l’avait payé. Il ne se consola pas de s’être abaissé sans profit, et son amour-propre souffrit de paraître à la fois dupe et victime. Il résolut dès lors d’exercer sur sa femme la seule vengeance par laquelle il pût atteindre le roi lui-même, et sa mère, quoique d’une honnêteté à toute épreuve, parut trouver le moyen ingénieux et la chose à peu près légitime. La jeune princesse fut sacrifiée à d’indignes rivales, et son époux étala ses désordres avec autant de soin que d’autres auraient pris pour les cacher. Entré dans le vice par une sorte de calcul et donnant à ses volages amours une scandaleuse publicité, il s’efforça de mettre ses doctrines en accord avec sa vie, et porta dans ses débordemens ces habitudes fanfaronnes que le roi signalait plus tard avec tant de justesse comme le trait dominant du caractère de son neveu. Affligé des larmes de sa fille, Louis XIV aurait aimé à en tarir la source ; mais lorsqu’il reprochait à son gendre l’oubli de ses devoirs envers une femme à laquelle sa mère avait transmis son esprit et sa beauté, un silence respectueux rappelait au roi les tristes circonstances de cette union, et lui laissait comprendre que ses leçons auraient gagné à être fortifiées par ses exemples. Malheureusement ceux-ci avaient continué à démentir ses préceptes, même après que la mort de la reine et un mariage secret eurent fait rentrer Louis XIV dans les voies d’une vie chrétienne, car la légitimation de ses bâtards adultérins était devenue sa pensée dominante. Pour parvenir à effacer l’empreinte qu’ils portaient au front et leur assurer un rang au détriment des lois du royaume et de la morale publique, il était conduit à ménager son neveu, malgré ses torts de plus en plus éclatans, et à passer parfois avec lui des menaces aux concessions les plus étranges. C’est ainsi que, par une condescendance que peuvent seuls expliquer les embarras de sa propre conduite et les singulières aberrations de sa conscience, on voit ce monarque, au temps de sa plus stricte dévotion, accorder à Mlle de Séry, qui tenait la place de sa propre fille dans le cœur et sous le toit de son époux, le droit de cacher, après ses couches, son nom flétri sous le titre de comtesse d’Argenton, en sanctionnant l’érection de cette terre en faveur de la maîtresse officiellement reconnue du premier prince du sang.

Cependant le duc de Chartres, devenu en 1701 duc d’Orléans, voyait s’ouvrir tout à coup devant lui des perspectives nouvelles. Les malheurs de son pays allaient enfin arracher ce prince à des débordemens à peine suspendus par quelques retours dont la froideur de son épouse n’avait pas su profiter. Pliant pour la première fois sous la mauvaise fortune, à laquelle il ne lui restait plus à opposer que les ministres et les généraux façonnés par lui-même, Louis XIV résolut enfin de relever, par la nomination du duc d’Orléans au commandement