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Pour juger, il ne faisait jamais appel à l’imagination. Il ne replaçait pas l’œuvre qu’il avait sous les yeux dans le milieu où elle s’était produite ; il faisait abstraction des temps, des lieux et de l’artiste lui-même. Il n’attribuait aucune valeur à la recherche minutieuse des intentions d’un artiste ou d’un poète, et ne recourait pas aux anecdotes pour expliquer le mérite de leurs créations. Plusieurs fois il a fait à ce sujet une profession de foi pleine et entière. L’histoire lui semblait distincte de la critique, et il ne croyait pas qu’elle lui prêtât aucun secours. Une œuvre était belle par elle-même, et ne devait qu’une mince parcelle de sa beauté aux circonstances de temps et de lieu. La tournure de son esprit était logique, syllogistique, nullement portée à l’histoire. Ces belles mélodies historiques que l’on entend résonner dans les œuvres d’art, et qui sont comme les hymnes chantées à l’éternelle beauté par les différentes générations d’artistes et de poètes, ne le touchaient pas, ou pour mieux dire il ne les entendait pas. Il ne savait donc retrouver dans une œuvre ni la personnalité de l’artiste, ni la couleur des temps, et ce défaut, car c’en est un, donnait parfois à sa critique des grandes œuvres du passé une véritable sécheresse. Volontiers il eût parlé de Dante sans tenir compte du catholicisme et de ces influences du moyen âge italien dont la Divine Comédie porte si profondément l’empreinte. Il avait parfaitement conscience de ce défaut, et ne songeait pas à le cacher. « Je ne sais, lisons-nous dans une de ses lettres, ni relever une anecdote comme L. V. (M. Vitet sans doute), ni poétiser un portrait comme S.-B. » Aussi, toutes les fois qu’il avait à parler d’un artiste, esquivait-il autant qu’il le pouvait la partie biographique et anecdotique pour arriver à la discussion des œuvres. La biographie le rebutait ; il n’y voyait guère qu’une série de chiffres servant à marquer avec précision les dates des œuvres de l’artiste et du poète, à expliquer le développement successif de son talent et la génération de ses pensées.

Gustave Planche a déjà trouvé, il trouvera davantage encore dans l’avenir la récompense de son courage et de ses travaux. Quand bien même les prochaines générations, de plus en plus affairées et distraites, n’auraient plus de temps pour lire ses écrits, son nom ne périrait pas. Il fait désormais partie de l’histoire littéraire contemporaine, et dans l’avenir on ne pourra écrire cette histoire sans mentionner son nom, sans tenir compte de son influence, sans raconter la vigoureuse réaction qu’il opposa aux excès de l’école romantique. Il a beaucoup lutté, beaucoup souffert pour affirmer son indépendance et faire reconnaître les droits de sa liberté, et ses efforts n’ont pas été vains. Nous recueillons aujourd’hui le fruit de ses travaux, car il a fait pour nous une précieuse conquête : il a affranchi complètement