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de voir avec quelle aisance elles se transforment de sorcières en jockeys. Celle-ci était l’héroïne de la fête, mais son triomphe fut de courte durée. Il paraît que, dans un district du centre de l’Angleterre, d’où elle avait trouvé prudent de s’esquiver en toute hâte, elle avait pratiqué un tour fort à la mode parmi les gypsies de tous les pays. Deux vieilles filles vivaient fort retirées dans une maison de campagne ; la gypsie avait trouvé le moyen de s’introduire chez elles et de leur persuader que, si elles consentaient à déposer une certaine somme d’argent dans la cave, cet argent s’accroîtrait de dix pour cent par la vertu de ses conjurations. On devine que la sorcière s’était emparée de la somme, et rien n’égalait l’orgueil qu’elle éprouvait de ce succès, si ce n’est, m’a-t-on dit, le ressentiment des vieilles filles crédules et cupides, en voyant qu’elles avaient été dupes d’une ruse si grossière. L’aventure arriva enfin aux oreilles de la police, et la belle amazone fut arrêtée. Les autres gypsies, quoique ayant revêtu pour la circonstance leurs habits de fête, contrastaient par un air de misère avec la pompe extravagante de cette sœur, dont plus tard ils eurent à déplorer l’infortune ; mais ils n’en faisaient pas moins des dépenses considérables. Les roms et les juwas ont l’imprévoyance du sauvage ; ils dissipent d’autant plus volontiers l’argent que cet argent leur coûte moins à gagner. Ce n’est pas le fruit de ce qu’on peut appeler le travail, mais de l’artifice. Et puis la gypsy se dit que tant qu’il y aura dans le monde des filles à marier ou des femmes mariées qui entretiennent des intrigues (le cœur qui aime est superstitieux), elle ne manquera point de mains à croiser avec des shillings ou des demi-shillings[1].

Quand les courses furent terminées, je retrouvai la bande des Stanleys qui m’avait accueilli dans son camp et que j’avais perdue de vue par intervalles, les hommes étant occupés à vendre leurs ânes et les femmes à dire la bonne aventure. Ils se disposaient à partir pour Lymington. Nous nous séparâmes en assez bons termes ; ils m’invitèrent même au mariage d’une de leurs filles, celle pour qui, selon l’assertion de la vieille sorcière, on réservait la poule noire, quoique ce mariage ne dût avoir lieu que dans six mois. Les gypsies sont pauvres, mais prodigues. Cette prodigalité éclate surtout dans leurs fêtes, et la principale de ces fêtes est le mariage de leurs filles. Le mariage est toujours précédé de deux années par la cérémonie des fiançailles. Pendant ce temps-là, les fiancés vivent comme frère et sœur. Arrive le jour nuptial, le grand jour (car ce qu’on a écrit du mariage à la cruche cassée n’existe pas chez les gypsies, l’union est

  1. Les femmes gypsies demandent toujours une pièce d’argent pour tracer la figure d’une croix sur la paume de la main, de là l’expression to cross with silver.