irrévocable, et il n’y a que la mort qui puisse la briser) ; les plus pauvres font des sacrifices incroyables pour subvenir dignement au banquet nuptial, qui dure trois jours, et pendant lequel la tente du Romany[1] est ouverte à tout le monde. La jeune fille aux noces de laquelle j’étais convié pouvait avoir dix-sept ans ; elle était fiancée depuis dix-huit mois à un jeune homme d’une vingtaine d’années, son cousin. En m’invitant, les gypsies ajoutèrent que le mariage aurait lieu à l’église. Sans avoir de croyances religieuses, les Romany tiennent à montrer qu’ils sont admis comme les autres hommes aux bénédictions et aux cérémonies du culte réformé.
Les Stanleys m’avaient également averti que si j’étais curieux de connaître leurs usages, je devais assister à l’enterrement d’une de leurs sœurs, qui allait avoir lieu dans quelques jours à Woodford, dans l’Essex. Les gypsies, ces éternels voyageurs qui ne se reposent que dans la tombe, se montrent très préoccupés de leur dernière demeure. Ils s’inquiètent assez peu de l’état futur de leur âme, mais un cercueil convenable et une place dans quelque tranquille cimetière de village, voilà l’objet de leurs dernières pensées. Ce lieu de repos les intéresse tant que l’un d’eux exprima en mourant le désir d’être inhumé dans un endroit particulier situé à cent milles du district où il avait fermé les yeux, et les autres gypsies, scrupuleux exécuteurs des volontés du mort, y transportèrent son cadavre. Cette sollicitude s’explique de la part d’hommes qui n’ont de patrie que dans le tombeau. Quand un rom a rendu le dernier soupir, les autres ne manquent guère de brûler ses habits avec la paille de son lit ; mais ils conservent religieusement ses anneaux, sa tabatière, quelque vieille cuillère d’argent, son cheval, son âne. Ils ne se séparent jamais de ces objets, si ce n’est dans les momens de grande détresse. Encore ne les vendent-ils pas, ils les engagent entre les mains d’un des leurs, et les retirent dès qu’ils en ont les moyens. Plusieurs familles visitent les tombes de leurs parens une fois dans l’année, généralement vers le temps de Noël. Les enfans ne parlent jamais de leurs ancêtres morts sans un sentiment de regret et d’affection. La femme qu’on allait enterrer, et dont je suivis avec intérêt les funérailles, appartenait à la famille des Lee ; elle était connue dans le voisinage sous le nom de reine des gypsies. Elle avait atteint l’âge de cent trois ans. Des centaines de spectateurs se pressaient autour de la fosse. Le corps avait été exposé dans une tente au milieu d’Epping-Forest, à trois quarts de mille environ de l’église. Il fut conduit au cimetière dans un corbillard à un cheval que suivaient sept gypsies en grand costume de deuil. La reine des gypsies
- ↑ Romany signifie homme marié ; la secte des Romany, c’est la secte des maris.