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Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 15.djvu/793

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et d’obstination qui lui parut de mauvais augure pour l’avenir de Marguerite.

— Eh bien ! dit-elle à celle-ci d’un ton aigre et bref, que faites-vous là, contre ce poêle, comme si vous étiez gelée ? Venez, j’ai à vous parler.

— Oui, ma tante, répondit la rusée Marguerite en feignant de se lever avec effort ; mais c’est qu’en vérité je souffre beaucoup de ce pied ! Ne pouvant danser, j’avais froid dans le grand salon.

— Mais avec qui donc causiez-vous ici ? lui demanda la comtesse en regardant Cristiano, qui s’était rapproché de M. Stangstadius.

— Avec le neveu de votre ami M. Goefle, qui vient de m’être présenté par M. Stangstadius. Vous le présenterai-je, ma tante ?

Cristiano, qui n’écoutait pas le savant, entendit fort bien la réponse de Marguerite, et, résolu à tout risquer pour prolonger ses rapports avec la nièce, il vint de lui-même saluer la tante d’une façon si gracieusement respectueuse, qu’elle fut frappée de sa bonne mine. Il faut croire qu’elle avait un grand besoin de M. Goefle, car, en dépit du nom roturier que s’attribuait Cristiano, elle lui fit aussi bon accueil que s’il eût appartenu à une des grandes familles du pays. Puis M. Stangstadius ayant affirmé qu’il était un garçon de mérite :

— Je suis charmée de faire connaissance avec vous, lui dit-elle, et j’en veux à M. Goefle de ne s’être jamais vanté devant moi d’un neveu qui lui fait honneur. Vous vous occupez donc de science, comme notre illustre ami Stangstadius ? C’est fort bien vu. C’est une des belles carrières que peut choisir un jeune homme. Par la science, on arrive même à la plus agréable position qu’il y ait dans le monde, c’est-à-dire à une considération que l’on n’est pas forcé d’acheter par des sacrifices.

— Je vois, reprit Cristiano, qu’il en est ainsi en Suède, soit dit à la louange de ce noble pays : mais en Italie, où j’ai été élevé, et même en France, où j’ai demeuré quelque temps, les savans sont généralement pauvres et faiblement encouragés, quand ils ne sont pas persécutés par le fanatisme religieux.

Cette réponse transporta de joie le géologue, qui avait un grand amour-propre national, et plut infiniment à la comtesse, qui dédaignait la France.

— Vous avez bien raison, dit-elle, et je ne comprends pas votre oncle de vous avoir fait élever ailleurs que dans votre pays, où le sort des étudians est si honorable et si heureux.

— Il tenait, répondit à tout hasard Cristiano, à ce que je pusse parler les langues étrangères avec facilité ; mais en cela je pense qu’il n’était pas besoin de m’envoyer si loin, car je me suis aperçu qu’ici on parlait français comme en France.