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de l’autre aux délirantes espérances d’Alberoni, les conditions d’un accord raisonnable. Dès les premières dépêches écrites de La Haye à la fin de l’année 1716, on trouve exposés avec tous leurs développemens ces vastes plans conçus à priori, et qui devaient, à travers mille obstacles et après des résistances de toute nature, s’exécuter littéralement et de point en point en moins de dix-huit mois. Des liaisons antérieures avec lord Stanhope mirent Dubois en mesure de rencontrer à La Haye, sous une sorte de domino diplomatique, ce ministre principal de George Ier, qu’il suivit à Hanovre, où se trouvait alors le roi d’Angleterre. L’on sait que de cette rencontre, dont le caractère prétendu fortuit ne trompa personne, sortit, après des discussions consignées dans une longue série de dépêches étincelantes de verve, le traité de la triple alliance signée entre la France, l’Angleterre et la Hollande[1]. Cet acte rappelait toutes les dispositions du traité d’Utrecht, dont il n’était, à vrai dire, que la sanction. Il garantissait la succession d’Angleterre à la maison de

  1. 4 janvier 1717. Dumont, Corps diplomatique, tome VIII, page 484. Les nombreuses dépêches de Dubois durant sa mission à La Haye et son ambassade à Londres, dépêches dont la plupart ont une étendue considérable, présentent l’intérêt d’un drame aussi instructif que piquant. Cet intérêt résulte d’une situation diplomatique qui ne fut peut-être jamais aussi compliquée, et de l’originalité avec laquelle tous les incidens de cette situation sont exposés par un observateur spirituel et sagace, qui passe avec un naturel charmant des considérations politiques les plus élevées aux plus diffuses libertés d’une conversation familière. Lorsque le dépôt des affaires étrangères donnera cette correspondance au public, d’après le mode de publication dont les Négociations relatives à la succession et Espagne ont présenté le plus parfait modèle, il rendra aux lettres sérieuses un service signalé. Si la chancellerie française est fort loin d’avoir été la plus habile de l’Europe, les correspondances de ses agens ont conservé, même aux jours de décadence et de faiblesse, la supériorité sensible qui tient au génie de notre langue et à celui d’un pays qu’on pourrait appeler la patrie de la conversation. J’ai lu et annoté un grand nombre de correspondances diplomatiques, et ce devoir de ma première jeunesse a suscité l’un des goûts les plus persévérans de ma vie. Parmi tant de correspondances manuscrites ou imprimées, on me permettra d’en citer six, en négligeant les monumens antérieurs aux temps modernes, qui m’ont paru, à des titres divers, avoir une supériorité décidée sur toutes les autres. J’indiquerai d’abord les belles dépêches du cardinal d’Ossat durant son ambassade à Rome pour l’absolution d’Henri IV, celles de Mazarin pendant ses négociations avec don Louis de Haro pour le traité des Pyrénées, les dépêches de l’abbé, depuis cardinal de Polignac, ambassadeur en Pologne lors de l’élection du prince de Conti en 1696, celles de l’abbé Dubois, de 1717 à 1720, dont je viens de signaler l’importance. J’y joindrai la correspondance de Sieyès pendant son ambassade à Berlin après la paix de Bâle, œuvre qui laisse bien loin derrière elle, par les vastes horizons qu’elle ouvre à la pensée ; les conceptions constitutionnelles du théoricien de l’an VIII, enfin les lettres particulières adressées par M. de Talleyrand au roi Louis XVIII pendant le congrès de Vienne, correspondance fort inférieure aux autres par la portée politique, mais qui, sous des formes dont l’élégante légèreté effleure souvent le fond des choses, présente un modèle de flatterie consommée et de calcul habile. Par une singularité que l’église n’a d’ailleurs aucun intérêt à relever, il se trouve que tous ces diplomates ont appartenu au clergé sans l’avoir beaucoup édifié.