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éparses, dans des sites pittoresques, au milieu de plantations de figuiers, d’amandiers, de vignes, d’arbres particuliers à la contrée, les demeures souterraines qui servent de refuge à des Juifs et à des Berbères vivant là en bonne intelligence depuis un temps immémorial ; ces derniers ont adopté les croyances juives.

Plus loin vers l’est, en s’avançant dans une plaine riche en vieux souvenirs, on rencontre un monument d’architecture étrange qui ne saurait être rapporté ni aux temps arabes, ni à la domination romaine : sur une base commune plantée dans la terre s’élèvent deux piliers quadrangulaires hauts de dix pieds, un peu inclinés l’un vers l’autre, et sur lesquels est jetée en travers une pierre massive longue de six pieds six pouces ; d’autres pierres, les unes plates, les autres hautes et creusées à leur surface, gisent au pied du monument principal, dont l’ensemble présente une frappante analogie avec nos monumens celtiques. Selon toute présomption, ces constructions doivent leur origine à des croyances religieuses, et elles indiquent ou l’énorme extension d’une des vieilles familles du globe, ou seulement peut-être l’existence chez des peuples divers d’une religion simple et uniforme dans l’expression de ses croyances primitives. Quelques-unes laissent apercevoir des traces d’art ; ce sont des mains romaines qui, plus tard, auront orné de quelques sculptures leur style rude et grossier. Plus loin, sur le bord d’un ravin, se dressent des colonnes du plus pur ionique ; là où s’étendaient quelques rians ombrages, où s’ouvrait un vallon, les grands personnages romains de l’Afrique se plaisaient à bâtir leurs monumens funéraires ; le plus remarquable par ses proportions est celui qu’on appelle Kasr-Doga ; il n’a pas moins de quarante-sept pieds de long sur trente et un de large ; les Arabes en ont fait jadis un château. De ce point quelques journées de marche ramènent à la côte et conduisent à Lebda, l’antique et illustre Leptis ; de là, les voyageurs regagnèrent Tripoli en suivant le bord de la mer.

Sur ces entrefaites, les instrumens étaient arrivés d’Angleterre, précédant les armes, les présens destinés aux souverains et aux chefs de tribus et le reste du matériel, dans lequel était compris un bateau de fer démonté et destiné à naviguer sur le Tsad[1]. Munis de tentes assez basses pour résister à la violence des vents et intérieurement doublées pour arrêter les rayons du soleil, Barth et Overweg, bientôt rejoints par M. Richardson, prirent définitivement la direction du sud, et les premiers jours d’avril les virent sur leurs chameaux ; suivis seulement de deux domestiques et des conducteurs de leurs bêtes de somme, dans le chemin qui conduit les caravanes au Fezzan, contrée située au midi de Tripoli, et qui n’est elle-même qu’une des plus grandes oasis répandues dans le désert.

Des plaines rocheuses ou calcaires coupées de montagnes sablonneuses dans lesquelles des torrens ont creusé de larges ravins presque constamment à sec, et que l’on appelle wadis ; des chaînes bouleversées d’où s’élancent

  1. L’orthographe de ce nom et de beaucoup d’autres varie selon les relations de voyage. Nous avons de préférence adopté celle de M. Barth, qui à un long séjour dans l’Afrique centrale joint les garanties que peuvent offrir de profondes connaissances philologiques.