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le toit est soutenu par deux colonnes massives d’argile, de forme primitive et légèrement amincies sous le simple abacus qui les couronne. Il était assis entre une des colonnes et le mur. Après les salutations, le voyageur prit un siège, et la conversation s’engagea dans la langue hausa, qui est une de celles dont l’emploi est le plus fréquent à Agadès. Barth exposa comment l’Angleterre, bien que placée à une grande distance, désirait entrer en relations d’amitié et de commerce avec les chefs et les hommes puissans de toute la terre. Le sultan dit que dans son pays retiré il n’avait jamais entendu parler de l’Angleterre, malgré tout son pouvoir, et n’avait pas soupçonné que « poudre anglaise » vînt de là. Il s’étonna que, dans un âge encore jeune, Barth eût accompli déjà de si grands voyages, exprima son indignation en entendant le récit des exactions que les Tawareks de la frontière d’Asben avaient fait subir aux voyageurs, et se montra constamment plein de grâce et de bienveillance. Plus tard, lorsqu’après vingt jours passés à Agadès Barth songea à quitter cette ville, le sultan, pressé d’écrire au gouvernement anglais, ne fît à cet égard que de vagues promesses, qu’il ne tint pas, mais il donna à son visiteur, pour le sultan de Sokoto et d’autres chefs, des lettres de recommandation qui, si elles ne furent pas très efficaces, marquaient du moins sa bonne volonté.

En général, à part des accès de fanatisme excités par la présence d’un chrétien, la population d’Agadès se montra assez bienveillante : on s’aperçoit qu’au sang berbère se trouve mêlé celui de races plus douces. Barth trouva même parmi les habitans quelques hommes véritablement intelligens dont il put tirer des renseignemens utiles sur des contrées situées à une grande distance. Un des indigènes des vallées de l’Aïr, avec lequel il eut occasion de converser de l’Égypte, que celui-ci avait visitée dans un pèlerinage, reconnaissait la supériorité de civilisation de ce pays sur le sien ; mais il avait observé aussi que la misère est plus fréquente dans les grands centres de population, et il ajoutait avec un certain orgueil que peu d’hommes en Aïr étaient aussi misérables que toute une classe de la population du Caire. Un autre, un mallem tolérant, qualité qui n’est pas ordinaire dans cette classe religieuse de lettrés musulmans, se plaisait, dans ses fréquentes conversations avec Barth, à amener l’entretien sur des sujets de religion. Il manifesta un jour son profond étonnement de voir tant d’inimitié entre musulmans et chrétiens, quand il existait tant de rapprochemens entre les points essentiels de leurs croyances. « C’est, lui répondit Barth, que partout les hommes attachent plus d’importance aux pratiques extérieures qu’aux dogmes mêmes de la religion. » Tous les jeunes garçons fréquentent les écoles et reçoivent de l’instruction, mais c’est l’instruction musulmane ; elle consiste uniquement dans la lecture et l’étude du livre sacré. Bien des fois, en traversant la ville, Barth entendit résonner les voix perçantes d’une cinquantaine d’enfans répétant avec énergie et enthousiasme les versets du Koran que leur maître avait écrits pour eux sur des tablettes de bois.

Un goût très vif pour la danse et la musique est encore un point de ressemblance entre les habitans d’Agadès et les peuples du Soudan. Les femmes ne sont pas astreintes à la réclusion, et il s’en faut que les mœurs soient chastes. Après le départ du sultan pour une expédition contre les tribus