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si vous voulez, pour nous acheter des chevaux !… Nous avons encore de bons chevaux chez nous, comme dans l’antiquité… En parcourant le pays, il verra ce que nous souffrons, et il le dira. — Oui, il le dira, soyez-en sûr, » répondais-je à mon Thessalien, pensant à tout ce que j’avais entendu raconter par nos officiers français à leur retour d’Orient et à leur généreuse colère contre l’oppression des chrétiens. Je pensais même tout bas que la voix d’un officier serait plus écoutée que celle d’un écrivain et surtout que celle d’un professeur, qui, lorsqu’il s’émeut des maux de la Grèce, semble céder à je ne sais quelle émotion de parenté. Je ne crois pas cependant qu’en écoutant ce compatriote d’Achille j’aie pensé à Homère ; la Thessalie souffrante et persécutée me cachait tout à fait la belle et riante Thessalie de l’antiquité. Je ne songeais pas à la vallée de Tempé ; mais surtout, pour me consoler et me distraire des douloureux récits qui m’étaient faits, je ne songeais pas à me dire, comme me le conseillent les personnes qui m’écrivent : « Après tout, les Turcs, qui font tout cela en Thessalie, ne m’ont rien fait de pareil ; ils ne m’ont pris, comme disait l’Achille d’Homère, ni mes bœufs, ni mes moutons ; ils n’ont pas brûlé mes arbres ni saccagé mes moissons,

Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur
Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur ?

Je suis bien bon de me soucier des malheurs qui se passent à quatre ou cinq cents lieues de moi. » Loin de me consoler de cette triste façon, j’avoue qu’en songeant à la sécurité de nos foyers domestiques, à la paisible jouissance de nos biens protégés par la loi, je me disais tout bas que, nous autres Européens, nous devions bien une minute au moins de commisération aux souffrances de nos frères d’Orient. Je ne demande pas de croisades, les croisades se font aujourd’hui pour les Turcs : je demande seulement que, nous étant émus avec raison des souffrances de l’oncle Tom, nous ne restions pas insensibles aux malheurs d’autres esclaves et d’autres persécutés qui n’ont qu’un titre de moins à notre pitié, celui de n’être pas noirs, mais qui persévèrent depuis plus de quatre cents ans, malgré la persécution, dans la foi qui a inspiré Las Cases plaidant pour les Indiens et Mme Beecher plaidant pour les nègres.

— Ces Grecs sont éloquens et un peu menteurs, me dit un beau jeune railleur, et votre Thessalien a abusé de votre pitié. — J’ouvre le livre de M. Mathieu intitulé la Turquie et ses différens peuples. M. H. Mathieu est un jeune écrivain, fidèle, il est vrai, aux bons penchans de son âge, mais qui, à prendre la date de sa naissance et même quelques pages de son livre, n’est pas assurément un libéral