remorque des événemens, désavouant aujourd’hui ce que nous avons fait hier, n’ayant aucun but arrêté, aucune prévision d’avenir ; nous soulevons le pacha d’Égypte, le bey de Tunis, au lieu de nous réunir à la Porte, qui implore notre appui ; nous défendons obstinément une mauvaise cause en Grèce, et nous profitons de toutes les occasions pour mécontenter le gouvernement turc, qui a toujours montré tant de sympathie pour la France La Turquie toute pacifique qu’elle est aujourd’hui, garde encore dans ses veines quelques gouttes de ce vieux sang d’Othman qui l’a rendue si longtemps victorieuse, et, je le répète, en cas de conflagration, la France doit confondre ses intérêts avec ceux de la Porte[1]. »
Je discuterai plus tard l’opinion de M. de Hell sur la politique de la France en Orient depuis quarante ans. Je ne l’ai citée que pour montrer jusqu’à quel point M. de Hell est favorable aux Turcs et à la Turquie. Voyons maintenant ce que ce témoin, si favorable aux Turcs, dit de l’état de l’Asie-Mineure, c’est-à-dire du pays même où, selon quelques personnes, est le foyer de la puissance des Turcs. « De Constantinople à Trébizonde, le pays que parcourt le Sakaria, l’ancien Sangarius, est d’une grande beauté et tout à fait désert. On ne peut s’empêcher de s’affliger profondément en voyant tant de richesses perdues pour l’humanité. Du reste, cette impression ne se reproduit que trop souvent quand on voyage dans ces belles contrées de l’Asie-Mineure, qui pourraient facilement nourrir des millions d’habitans, et qui ne présentent que des villages clair-semés… » Plus loin, près d’Héraclée, « un cimetière turc et plusieurs villages abandonnés prouvent que jadis une nombreuse population animait cette belle contrée. Les impôts excessifs en ont chassé les habitans, et maintenant on ne voit qu’un sol en friche et des ruines… Nous traversons la rivière de Karasou aux eaux limpides cachées sous la végétation, puis un pauvre village veuf de presque tous ses habitans. Il y a peu d’années, on y comptait un millier de maisons ; actuellement il s’en trouve à peine soixante… Encore un village ruiné, Acha-Kodja-Ali-Keui, avec un cimetière où se trouvent de magnifiques cyprès… » Prusias, grande et belle ville dans l’antiquité, ses ruines en font foi, Prusias « ne compte plus actuellement que cent cinquante maisons, toutes turques… La population décroît rapidement, les paysans préférant le séjour des grandes villes à celui de la campagne, où le fruit de leur travail ne sert qu’à remplir les coffres du gouverneur… » Sinope est une ville triste, dépeuplée, sans garnison ni commerce… « On se demande
- ↑ Voyage en Turquie et en Perse, exécuté par ordre du gouvernement français en 1846-1847-1848, par M. Hommaire de Hell, p. 482-483.